Journal d’Ada 3

Il ne me reste que ces feuilles pour m’exercer en écrivant ces bêtises, ou dessiner des choses que je ne peux voir qu’à travers mes carreaux recouverts de gouttes d’eau.

Khazen est retourné voir le charpentier aujourd’hui, mais sans moi. Il a dit que ça ne pouvait pas attendre… Je guettais l’occasion de revenir au port avec impatience, et il a fallu que ça tombe aujourd’hui.
Maman est malade… J’ai dû rester à la maison pour lui servir de la soupe et la veiller. Papa est sorti chercher des médicaments chez l’apothicaire. Maman a une mauvaise toux, et avec le bébé tout le monde est inquiet. J’ai pas bien compris, mais Papa et Tonton m’ont dit que les plus petits maux peuvent devenir des gros quand on est enceinte. Ce n’est pas si heureux que ça en fait.
Je dois être silencieuse pour ne pas déranger Maman et qu’elle puisse dormir. Du coup, je n’ai pas de leçon, mais ça ne me réjouit pas. Il fait gris et je m’ennuie. Il ne me reste que ces feuilles pour m’exercer en écrivant ces bêtises, ou dessiner des choses que je ne peux voir qu’à travers mes carreaux recouverts de gouttes d’eau. Même les nuages sont tristes pour moi.
Je préférerais travailler avec Maman, au moins je n’aurais pas cette pensée qui revient, celle que je suis seule et que je ne sers à rien ni à personne. C’est dans le silence, comme ça, quand l’après-midi s’étire sans finir, que je ressens le plus cette tristesse étrange qui me serre le cœur. Pourtant, je ne suis pas malade, je mange bien. J’ai des leçons et parfois même des cadeaux. Mes parents m’aiment beaucoup et bien qu’ils me grondent parfois, je crois qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour que je grandisse bien et que je vive heureuse. Rien ne me fait de la peine, sinon de rester ici, dans cette chambre où je n’ose respirer de peur de réveiller Maman. Malgré tout, il me manque quelque chose. Je pensais que c’était d’avoir un petit frère ou une petite sœur, mais si Maman doit en souffrir, je ne suis plus bien sûre d’en vouloir…
Je crois que je me sens triste depuis qu’on est revenus du port, Tonton et moi. Je crois que ça a un rapport avec Djian. Quand j’ai joué avec lui, je n’ai pas vu le temps passer. C’était comme si tous les jeux que j’imaginais avec mes jouets, mes dessins et les histoires dans ma tête pouvaient devenir vrais en les partageant avec lui. C’est comme si jusqu’alors je n’avais été qu’une balle de terre, et que le rencontrer m’avait donné vie, comme Ulepal avec Mildenn.
Est-ce que c’est ça, avoir un ami ?
Je pensais que je pourrais revoir Djian aujourd’hui, en descendant au port avec mon oncle. Mais non, les Dieux en ont décidé autrement.
A coup sûr, il m’aura oubliée d’ici à ce que je puisse sortir de cette maison.

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