Une minute

Je flotte, presque sans efforts. Cette immensité me grise autant qu’elle m’effraie.

Bonjour tout le monde !
Ça fait bien longtemps que je n’ai pas écrit ici, mais ça ne m’a pas empêchée de produire par ailleurs !
Des mers sous trois lunes est en pause, plus pour très longtemps car j’aimerais le reprendre pour finir le premier tome d’ici la fin 2021.
Deux autres gros projets sont en cours, une biographie et une autre saga, fantastique celle-ci. Je vous en parlerai davantage en temps voulu.
Beaucoup de nouvelles ont rejoint mon tiroir à histoires, dont une publiée aux Éditions des Tourments, dans le recueil Exsangue. Les autres pouvant aussi être amenées à la publication et étant un peu longues, je ne les partagerai pas sur ce blog.
J’ai aussi bon nombre de critiques livresques à venir, mais je ne pense pas relayer ces publications ici. Si cela vous intéresse, il faudra me retrouver sur Babelio ou Goodreads.
Aujourd’hui, je vais vous parler d’un concours d’écriture au long cours auquel j’ai beaucoup de plaisir de participer. Nous avons une semaine pour écrire un texte sur un thème, avec une contrainte dans l’écriture. Cette dernière peut concerner la forme, l’intrigue, les personnages, le ton… C’est très varié et parfois épineux ! La semaine qui suit, nous nous jugeons entre candidats, puis la semaine d’après, un nouveau thème et une nouvelle contrainte nous sont donnés. Comme ce sont des petits textes à la lecture publique et sans volonté de publication future mais que j’ai bien aimé les écrire, je vais vous les déposer ici.

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Thème : Espace
Contrainte : l’intrigue du texte doit durer une minute

Une minute

Je flotte, presque sans efforts. Cette immensité me grise autant qu’elle m’effraie. Il n’y a rien, sinon toutes ces couleurs floues qui m’enivrent. Je sais le risque permanent qu’une ombre fatale survienne, dans un lieu si dégagé. Je n’y pense pas, tant c’est ancré dans mon instinct. Éviter les ombres, fuir le mouvement des autres. Tout peut m’atteindre, toujours, tout le temps, mais moi aussi. Je peux aller partout, dans cet immense nulle part, là où les ombres, les autres, ne seront pas, ne m’auront pas.

Le vide m’appelle. Je n’ai besoin que d’un geste infime pour changer de direction à l’oblique, filer à l’inverse, découvrir l’envers. L’air chaud me porte toujours plus haut et m’enveloppe d’une fièvre effervescente. Je me sens plus active que jamais sous la lumière puissante du jour. Je tourne, prends encore la suite d’un courant, et perçois une onde plus fraîche, venant de loin, plus bas. Presque simultanément, un fumet irrésistible, tiède, s’élève vers moi. Il se mélange à l’onde, créant un nouveau flux, une trace que je peux pister, qu’il me faut remonter au plus vite. La faim ne me quitte jamais, et tout ce qui peut combler ce besoin permanent devient ma priorité. Les ombres, les autres sont relégués au second plan. Je suis vivement l’empreinte presque matérialisée, vapeur sirupeuse. L’étendue autour de moi semble s’être rétrécie pour ne me conduire plus qu’à cet objectif. Seul compte maintenant ce mets qui affole mes senseurs.

Les couleurs changent, s’assombrissent, l’air se rafraîchit encore. Un gouffre noir s’ouvre sous moi. Pénétrer dans le domaine des ombres me terrifie, mais cette source d’énergie parfumée s’y trouve et me grise au-delà de ma peur. Je serai peut-être la première à arriver. Se battre pour manger est quotidien, et si le combat peut être évité ou que je peux combler mes manques avant d’être délogée par les autres, j’aurai gagné un nouveau jour.

Mes yeux s’habituent trop doucement à la pénombre, et je tourne en spirale pour rester inaccessible jusqu’à voir de nouveau et de retrouver ma piste. L’origine est tout près, je sens les vapeurs sucrées s’affermir. Je fonds vers la source, que j’ai enfin en visuel : brillante, onctueuse, chaude et délicieuse. Une ombre survient, me surprend. Je n’ai que le temps d’un battement d’ailes pour changer de trajectoire et éviter une masse colossale qui m’aurait fauchée sans cette fuite. L’ombre garde l’énergie. Je peux rester à proximité, voir si elle s’écarte assez pour m’en laisser l’accès. Manger l’énergie des ombres est risqué mais chargé de promesses délicieuses, pour peu qu’on soit assez téméraire ou stupide pour frôler d’aussi près le danger.

Je prends de la hauteur, cherche à me poser pour un point de vue idéal sur l’abondante nourriture. Un angle, obscur mais hors de portée de l’ombre qui reste très près de son énergie, me semble parfait. Je m’en approche, mais ne parviens pas à l’atteindre. Il me faut un instant pour comprendre que je suis retenue, en plein vide, par quelque chose d’invisible. Je me tortille, mais mes ailes s’engluent dans ce que je vois apparaître maintenant comme de longs fils miroitant des couleurs de la lumière du jour. Une autre ombre fond sur moi, m’attrape, m’enlace et me mord.

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Je suis rentré tôt cette année. Même si l’air est plus frais et la chasse moins facile qu’en voyage vers le sud, je suis attaché à ce territoire qui m’a vu naître. Son importance pèse plus pour moi que toutes les épreuves que je dois affronter pour y revenir tous les ans.

C’est un lieu clairement idéal, le plus bel endroit pour donner vie à mes enfants. Ici, dans cette contrée préservée, ce sanctuaire, ils auront toutes les chances de devenir forts avant de devoir à nouveau s’exiler avec moi pour fuir le grand froid et le sommeil du gibier.

Ici, les vieilles pierres ont cessé depuis longtemps de chanter. Les points d’observation et de repos sont nombreux et variés, et même si le territoire reste dur à protéger contre des rivaux en raison d’un épais rideau de feuillage, on y vit tranquille. Et surtout, le plus important, ces immenses créatures, dangereuses et bruyantes avec tous leurs outils, sont parties pour nous laisser leurs constructions si adaptées pour nous y installer. Ici, je suis venu à la vie, j’ai grandi, c’est mon monde. Tous les autres lieux que je parcours ne sont que les étapes du chemin qui me ramène toujours ici, année après année.

Mais ce havre de paix a changé. L’herbe est moins haute. Le gibier foisonne, seulement… j’ai l’impression d’entendre à nouveau les pierres murmurer. Des entrées ont disparu, d’autres se sont créées.

En chasse, j’arpente mon territoire, pour comprendre ce qui diffère. Soudain, devant moi, une proie. Je fonds vers elle, qui ne m’a pas vu. Pourtant, elle tourne à l’opposé et s’éloigne, vite. Mais je suis rapide moi aussi, même si mes filets, plus beaux que pratiques en vol, me contraignent à des manœuvres. Une gêne que j’accepte, tant ces atouts sont essentiels dans le jeu de la séduction de ces dames, avec mes plumes brillant sous le doux soleil de cette contrée et ma voix mélodieuse. Deux-trois coups d’aile, je vire et la pourchasse, m’approchant d’une entrée sombre au cœur de la base de ma tour de pierres.

Soudain, je réalise : le passage est trop grand. Ce trou ne s’ouvre pas à ma taille, mais à celle des créatures ! Je bats des ailes sans plus avancer, tentant d’habituer ma vue au noir. Alors je la distingue, et un cri strident m’échappe. L’un de ces monstres me fait face. Nos regards se croisent. Hurlant toujours sous le coup de l’émotion, animé par la peur, mon premier choix est de me sauver droit devant moi. Je me retrouve piégé dans la construction, qui a été réinvestie par les créatures, leur odeur maculant les lieux. Je vois plus clair, et je parviens, d’un coup d’aile, à retrouver la passe par laquelle je suis entré. En quelques battements puissants, je prends les courants ascendants, fuyant l’ennemi qui heureusement ne me suit pas. Peut-il seulement voler ? L’altitude ayant eu raison de ma frayeur, je fais demi-tour, jette un regard furtif sur l’immense trou qui m’inquiète maintenant.

Pourtant, je me pose en haut de ma tour. Je n’ai plus ma place à la base, mais il me reste ses sommets et les cieux, où ce monstre ne m’attrapera pas. Mon lieu de vie.

***

Ah, je vais enfin pouvoir bosser tranquillement, aujourd’hui ! Maintenant que je suis bien installée, au vert, la page blanche n’a plus de raison de m’inquiéter. Cette ancienne ferme de granit était vraiment le meilleur choix pour un cadre idéal, propice à l’inspiration, moi qui ne m’épanouis qu’au cœur de la nature ! Je crois que je vais enfin pouvoir me constituer un petit espace de travail qui conviendra à l’expression de ma créativité.

Depuis la veille, il fait un temps superbe, ça change des mois insoutenables que j’ai passés sous les plaids. Quelle idée de déménager en plein hiver ! Au moins, maintenant, je peux ouvrir les fenêtres, et profiter du chant des oiseaux et des grillons.

Ma compote maison est encore tiède, je vais faire un bon goûter et me régaler en lisant mes notes d’hier. Je m’assois devant mon ordinateur, à mon bureau improvisé dans le salon du rez-de-chaussée, en attendant d’avoir ma pièce à moi à l’étage, quand on aura fini les travaux. Mais trêve de pensées parasites ! Au boulot !

Les yeux sur l’écran, j’entends soudain bourdonner non loin de mon oreille. Ah, non ! Une mouche vient de se poser sur ma cuillère, à quelques centimètres de mon goûter ! Fais comme chez toi, surtout ! Je la chasse d’un revers de la main, et elle disparaît dans un coin de la pièce. Oups, je crois qu’il y a plein d’araignées là-bas…

Je tente de me reconcentrer sur mon texte. Un bruit bizarre, comme un froissement, me fait lever les yeux vers sa source, à la fenêtre. Hein ? C’est quoi, ça ? Un oiseau vient d’entrer ! Encore ? Ils n’arrêtent pas en ce moment, ce doit être le printemps… Je les adore, mais ce n’est pas l’idéal pour travailler ! Il fait un instant du sur place et je reconnais une hirondelle, même si je les avais toujours imaginées plus petites. Au lieu de faire volte-face et de se sauver comme on l’attendrait de tout oiseau bien constitué, elle fait le tour de mon salon, trissant comme une dératée. Je me lève et agite les bras, elle lorgne mes poutres, semblant chercher un endroit où faire son nid. Allez, allez, dehors maintenant, tu es mignonne mais je dois bosser, et pas de fiente sur mon ordinateur au passage, merci !

La voilà sortie, et j’ai l’impression que mon inspiration est partie avec elle. Bon, qu’est-ce que je vais pouvoir écrire pour ce défi ?

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