Litha

Thème : Chaleur

Contrainte : Se déroule lors d’une fête.

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Goulwen avait regardé la tenture de fil tressé prendre doucement la couleur des premières lueurs de l’aube. Allongé sur sa paillasse, le sommeil l’avait fui toute la nuit. Ce jour qui commençait déjà, le plus long de l’année, était si important que le sang du jeune mage avait bouilli sans lui laisser de repos. Cependant, il ne s’en inquiétait pas. La fièvre saine qui le tenait, faisant courir en lui la même sève vitale qui épanouissait les arbres au-dehors, lui permettrait de rester fort pour cette nouvelle journée de célébration. Ce cycle voyait la consécration de Goulwen, où il était seul chargé depuis Ostara, de certains aspects des festivités. Son mentor Kaelig le suivait encore comme une ombre, surtout pour les prières et les rassemblements. Pourtant, le jeune mage confirmait avec dévotion et fine mémoire avoir reçu son enseignement.

Au côté de Goulwen, Aenor dormait paisiblement. Abandonnée aux songes, elle semblait moins âgée. Le souci l’avait quittée pour la nuit, rendant ses traits plus doux, comme si ces derniers avaient trouvé avec elle le repos. Le mage espérait de toute son âme que ce troisième jour de Litha, point culminant de l’influence de l’autre monde sur le leur, parviendrait à réchauffer le cœur de sa compagne.

L’astre solaire s’immisça dans leur demeure, par la fine fente entre la tenture et le cadre de branches nouées qui perçait le mur. Un rayon tiède toucha la main de Goulwen. Enfin.

Prenant garde à ne pas réveiller Aenor, il quitta leur couche déjà vêtu de sa robe blanche, chaussa ses brogues et sortit de leur hutte sur la pointe des pieds.

La place du village qui lui faisait face restait marquée par Litha tout le long de la fête. Des cordes avaient été tendues entre les habitations, unissant tous les membres du clan dans la liesse. On y avait accroché des rubans colorés, qui claquaient doucement sous un vent encore frais. Les grandes tables ne seraient démontées qu’à la fin de la célébration, et n’attendaient plus que d’être à nouveau garnies de mets délicieux offerts par le rayonnement des dieux. Au centre, l’immense feu brûlait depuis deux jours, entretenu sans relâche par les plus jeunes apprentis de Kaelig, irradiant jusqu’en soi. Goulwen se rappelait avec nostalgie ses veilles du foyer, où il se trouvait saisi d’une torpeur mêlant sommeil et émerveillement, hypnotisé par la lumière changeante de la fournaise. Après un sourire à ces doux souvenirs et à ses condisciples, le mage emporta avec lui la touffeur des flammes en s’enfonçant dans les bois bordant le village.

Sous les frondaisons, les rayons solaires formaient des colonnes mouvantes où dansaient les graines légères. Ils touchaient les feuilles, transformant les gouttes d’une rosée persistante en trésors d’un verrier divin. À la recherche de plantes précises, Goulwen se ravissait de ce spectacle sans pour autant avoir le temps d’en profiter. Il n’aurait que quelques heures, à peine, pour mener à bien sa quête avant d’être appelé à officier aux festivités et que les pouvoirs des simples ne s’amenuisent.

***

Aenor s’éveilla quand les rayons caressèrent son front. Elle avait merveilleusement bien dormi. Litha l’avait tant occupée dans ses préparatifs et sa bonne tenue qu’elle ne pensait pas qu’elle aurait tant récupéré. C’était peut-être l’énergie débordante du dieu cerf qui coulait en elle, au moins un peu, et la touchait de sa puissance. Elle ôta le drap de toile qui la recouvrait, et l’astre solaire joua sur son corps nu. Une curieuse pudeur réchauffa ses joues, et elle se leva pour se vêtir.

Aenor déplia sa plus belle tenue de fête, celle qu’elle avait gardée pour ce point culminant. Pour le plus long jour de ce cycle, elle porterait sa robe rouge, tissée de losanges orangés sur le buste, à la manière d’autant de flammes sous le soleil. Comme la plupart des femmes de son clan, elle aimait honorer la puissance puis le déclin du grand chêne en un dégradé de couleurs chaudes. Elle avait porté sa robe jaune pour le premier jour et la passerait à nouveau le dernier. Sa tenue orangée l’avait ceinte le second et reviendrait l’orner au pénultième. Aenor ne réservait cette splendeur carmine qu’au zénith de ce jour si particulier. Ainsi apprêtée, elle tressa ses cheveux et rejoignit ses voisins pour aider à préparer le festin qui les nourrirait tous aujourd’hui.

***

Le son d’une flûte, lointain, titilla l’oreille de Goulwen. Les célébrations commençaient-elles déjà ? S’était-il tant éloigné de son clan ? Accroupi dans les fougères, il se redressa, attentif. Il ne reconnut pas cette partie des bois, plus dense, tant il avait mené ses recherches le regard rivé au sol. Il était parvenu à rassembler des branches de rue, dont les fleurs jaunes lui coloraient les mains, et venait de trouver du basilic, identifiable à sa feuille bombée, qu’il avait froissée pour s’assurer qu’il avait bien affaire à cet entêtant aromate. Il ne lui restait plus que le sorbier, facile à repérer grâce à sa taille importante et ses fruits rouge vif. Pourtant, il n’en avait pas vu, malgré ses visites récentes. Et plus il marchait, plus il avait le sentiment de n’être jamais allé dans cette partie de la forêt. Maintenant convaincu d’être perdu et anxieux à l’idée de manquer à son devoir, il tenta de suivre le son de flûte, qui se transforma bientôt en mélodie, rythmée par des percussions. S’il lui semblait bien s’en rapprocher, il avait toujours l’impression que la musique était à des lieues de là, et en même temps… si près, comme voilée. Un mouvement attira son regard. Un renard ? Non. Si celle qui lui faisait face était bien rousse, des pieds aux cheveux, elle avait la taille d’un merle et de belles ailes, qui lui apparurent hérissées de plumes d’eau aux reflets colorés et changeants. Surpris, Goulwen ne sut que dire alors que la représentante du petit peuple s’éloignait déjà. Pourtant elle s’arrêta, se retourna vers lui et d’un geste de son bras minuscule, l’invita à la suivre. Trop curieux pour penser, le mage courut après la créature, qui le guida à travers les bois, toujours plus touffus.

Enfin, ils débouchèrent dans une grande clairière. Le feuillage occultait le ciel, mais la lumière chaude du soleil brillait au travers. Était-ce possible ? Celui qui se tenait devant le jeune mage rayonnait encore plus. Si Goulwen ne l’avait jamais vu auparavant, il le reconnut immédiatement. Cernunnos. Assis sur un trône creusé dans l’arbre gigantesque qui poussait derrière lui, grand comme trois hommes, son visage mêlait des traits mûrs à ceux d’un cerf. Ses iris à la profonde pupille horizontale brillaient d’or liquide. Des bois majestueux, piquetés de mousse verte, ornaient son crâne. Le dieu se pencha à l’approche de Goulwen, avançant vers lui une main immense à la peau brune d’aspect velouté. Le mage découvrit en son creux un gland, une branche de houx, deux couronnes de sorbier et un petit chaudron. Dans ce dernier bouillait une décoction à l’odeur âcre : des fruits de sorbier cuits. Machinalement, ses gestes semblant lui échapper, Goulwen laissa tomber la rue et le basilic dans le chaudron, attrapa le gland et le houx et les ajouta au mélange. Il prit l’une des couronnes, et la tint contre son cœur, tandis que de son autre main, le dieu lui déposait la seconde sur la tête. De toute la durée de ce curieux moment, le mage n’avait plus quitté des yeux le foyer brûlant dans le regard du dieu cerf. Ses paupières refusant de se fermer, il pleurait abondamment, à la fois pour se protéger de la trop vive ardeur que sous le coup de l’émotion. Sa vue se brouilla sous les larmes.

Quand enfin il put de nouveau voir, Cernunnos et la fée avaient disparu, et il se trouvait à l’orée de la forêt, en vue de son clan. Il portait toujours, sur la tête et contre son cœur battant, les couronnes de sorbier. Entre ses mains, une timbale de bois était remplie de la potion odorante du chaudron.

Les yeux toujours larmoyants, Goulwen marcha rapidement jusqu’au village, où les fumets de viande grillée et de légumes juteux commençaient déjà à emplir l’air. Des musiciens préparaient leurs instruments : des tambours, des lyres, des flûtes. Les percussionnistes étaient en train de tendre leurs peaux. Rien n’était encore vraiment commencé. Combien de temps exactement avait-il disparu au fond des bois, acteur d’une rencontre miraculeuse ?

Aenor, occupée à disposer des betteraves tranchées sur les tables, se retourna à son approche, reconnaissant le pas de son compagnon. Goulwen lui déposa la couronne de sorbier sur la tête.

Sans un mot, il lui adressa un sourire rayonnant et avala une gorgée de la timbale avant de la lui tendre. Rivée à son regard brillant, son épouse but à son tour. Une chaleur surprenante, douce, s’étendit dans son ventre et s’y logea, bienfaisante.

Alors, Aenor sut que l’été leur annoncerait le fruit qu’ils attendaient.

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