Le sacre (2/2)

« Peuple de Perr, tu prospéreras. Je serai celle qui prouvera à tous qu’une reine a la valeur d’un roi. »

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La tête haute, le pas décidé, elle arborait un air résolu et rayonnant sur le visage, même si ses yeux m’ont semblé tristes. Le deuil, sûrement. Cette pauvre enfant n’avait pas longtemps connu sa mère, et elle perdait son modèle et le dernier membre de sa famille avec son père. Mais si cela l’affligeait sans nul doute, elle avait choisi d’aller de l’avant, et d’affronter son règne précoce et inédit avec détermination. Sa robe bouffante reprenait les couleurs de la décoration, en étant soulignée par un décolleté, une ceinture et une bordure noirs.
Si cette tenue était très élégante, elle n’était pas aussi faste que d’autres qu’on pouvait voir sur les nobles l’entourant, ou les portraits de ses ancêtres. Elle avait les cheveux très longs, très noirs, remontés en une haute coiffure enrubannée elle aussi, qui tenait je ne sais comment. Ses bras nus sous le coude n’arboraient aucun bijou, tout comme sa gorge. Sa peau tannée par le soleil contrastait avec la pâleur de la noblesse qui la regardait s’avancer. On m’avait dit qu’elle était souvent à l’extérieur, à aider aux champs ou à s’entraîner au combat avec le maître d’armes royal (tu te rends compte !), mais j’avais toujours cru à des bruits exagérés. Force était de constater qu’il devait au moins y avoir un fond de vérité. Malgré cette différence et sans les atours qu’on imagine, je suppose, sur toute personne de son rang, elle dégageait pourtant une grande grâce et un aplomb indiscutables.
Après un silence un peu long, que je me demande si la surprise n’a pas prolongé, l’orchestre a repris sa musique. On a murmuré à côté de moi que c’était « La Marche vers le Trône ». Son pas s’est appliqué au rythme de la mélodie, et elle est arrivée près de l’Intendant au ravissement de l’assemblée. Montée à son niveau, elle s’est retournée vers nous, et j’ai pu mieux voir son visage. Elle a souri, un tout petit instant. Puis elle a commencé son discours. Les phrases du début étaient celles consacrées :
« Peuple de Perr, j’accepte aujourd’hui la charge et le nom que mon sang réclame. Je jure devant toi d’offrir ma vie à la couronne, pour le meilleur et contre le pire. »
Elle s’est arrêtée. Le contrat venait d’arriver, porté par un domestique sur une sorte de haut guéridon portable, avec un grand verre vide. Normalement, c’est là que l’Intendant devait lui transmettre le pouvoir. Mais elle a ensuite ajouté ces paroles improvisées :
« Je m’engage solennellement à te donner une chance, une éducation, un travail, une écoute. Tu pourras grandir et manger chaque jour. Peuple de Perr, tu prospéreras. Je serai celle qui prouvera à tous qu’une reine a la valeur d’un roi. »
L’Intendant eut l’air un peu bousculé, et j’entendis des chuchotements s’élever autour de moi. Je ne sais pas trop ce qu’ils disaient, mais moi, j’étais agréablement surprise par la conviction de son ton. Elle venait de frapper fort, je crois.  Enfin, la cérémonie a repris comme prévu, et l’Intendant a tendu le Bracelet du Pouvoir à la Princesse. Elle l’a passé au bras gauche, en a fait sortir la pointe, et s’est ouvert avec le long doigt de la main droite, comme la tradition l’exige, apparemment. Si tu veux mon avis, je ne comprendrai jamais ce qu’ont les Nobles avec ça, très franchement… ! Elle a fait couler quelques gouttes de sang dans le verre, puis y a trempé une tige, et a signé le contrat de succession au trône avec. C’était acté. L’Intendant a dit alors :
« Peuple de Perr, moi, Intendant Jalist Luesa, assure la transition du pouvoir du Roi Celiam Perr-Tis à Navida de Perr. Princesse Navida, première du nom, prenez aujourd’hui celui de Reine Navida Perr-Is. »
Elle s’est inclinée, et il a sorti la couronne pour la poser sur ses beaux cheveux noirs. Des acclamations et des applaudissements nourris sont partis du public, et je me suis gaiement jointe à la fête. Notre Reine était rayonnante quand elle s’est redressée, tout sourire.  Personne ne savait encore à ce moment-là que tout ce qu’elle avait annoncé n’était pas que belles paroles. Rien n’est sûr, elle ne règne que depuis un cycle. Pourtant, je crois sentir que les choses changent. Pas toi ?

 

Affectueusement,

Naniatt Kiple.
Au fait, merci pour les noix de tacho, elles étaient succulentes !

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