Baptiste et les sirènes

« – Est-ce que tu as peur de Superman ?

– Heu… Oui, c’est pour les garçons, je suis bête. »

 

Ils entrent dans la rame de métro. Bruyants, nombreux. Pas tant que ça, une dizaine tout au plus, mais enflant le volume comme vingt autres le feraient. Des enfants, une classe, niveau petite primaire, fin de maternelle. Six ans pour les plus vieux, grand maximum. Ils s’égaillent dans la rame, encadrés par plusieurs jeunes adultes. Des moniteurs de colonie de vacances, de classe verte, ou de centre aéré. Deux petites filles, hésitantes, entrent parmi les derniers, parcourant des yeux ce nouvel endroit comme la galerie d’un musée.

 

C’est plus calme maintenant, les enfants ont trouvé des sièges, et les deux gamines sont assises côte à côte sur des strapontins, près de leur moniteur qui tient une barre face à elles. Leurs regards font toujours le tour du lieu, analysant matériel et passagers. L’une finit par lancer à l’autre :

 

« T’as vu, on est dans le métro maintenant. C’est sous la terre.

– Oui, on est sous la terre.

 

– On est sous la terre, mais ça fait pas peur, non.

 

– Il fait tout noir, mais ici il y a la lumière.

 

– Oui, on est protégés dans le métro ! »

 

Ravies par ce constat rassurant, elles parcourent à nouveau les lieux d’un regard curieux.

 

« Et si y a le feu ? »

 

L’autre dévisage sa copine un instant, puis sort, très docte :

 

« Bah on court et on sort, ça s’arrête.

 

– Et comment on sait si y a le feu ?

 

– Y a de la fumée. Si y a pas de fumée, y a pas de feu.

 

– Oui. »

 

Un ange passe. Soudain, l’une s’écrie :

 

« Oh ! Là ! De la fumée !

 

– Où ? Je vois pas ! »

 

Son amie désigne un point éloigné de la rame.

 

« Mais si, là, regarde ! Non, c’est pas vrai, je plaisante. »

 

L’autre semble dubitative. Elle se tourne vers l’accompagnateur qui veille sur elles :

 

« Baptiste, elle dit que y a le feu, mais c’est pas vrai ! »

 

Elles rient toutes deux, minaudent, appréciant visiblement ce jeune moniteur. Devant son simple sourire silencieux en réponse à leur babillage, elles reprennent leur discussion :

 

« Dis, t’as peur du noir ?

 

– Non.

 

– Du sang ? Des squelettes ?

 

– Non.

 

– Des vrais squelettes ?

 

-Non.

 

– Est-ce que tu as peur de Superman ?

 

– Heu… Oui, c’est pour les garçons, je suis bête. »

 

A court d’idées, la petite marque une pause, mais pour rebondir aussitôt :

 

« Hé, on fait une blague ? »

 

Sa copine acquiesce, et l’autre hausse la voix à l’intention de leur accompagnateur :

 

« Baptiste, y a le feu sur toi ! »

 

Cette fois, le sus-nommé réagit, perplexe.

 

« Pardon ?

– Sur tes cheveux, dans ta barbe ! »

 

Il soupire.

 

« Mais non, y a pas le feu. Reste bien assise.

– Hé, Baptiste… Pourquoi tu as les yeux en ponts ?

 

– Quoi ?!

 

– Pourquoi tu as les yeux en ponts… »

 

Elle se tourne vers son amie :

 

« Il a les yeux en radis !

– T’as les yeux en radis !

 

– T’as les yeux en… fraise !

 

 

– T’as les yeux en carottes ! »

 

J’ai quitté la rame. Parfois, la vérité dépasse la fiction.

 

C’était en 2012, à Paris.

Châtiment (2/2)

« Je range mes sabres à ma ceinture, et en sors ma petite dague des grandes occasions. « 

 

Tiens, en voilà un qui s’avance, il a l’air un peu plus éveillé que ses copains. De beaux yeux cuivre, une petite barbe, pas trop dégueulasse. Parfait, ça va me faire les mains. Oh, et il me sourit en plus ! C’est parce que t’as aussi deux sabres que je te plais ? Mais viens, je t’attends !

Un coup d’estoc, j’esquive, je réplique. Merde, il est rapide ce con. Très bien, je lance l’autre bras en réponse. Mais c’est qu’il va m’énerver ! Une volte pour éviter une taille sournoise, et voilà, dans l’aine. Ça calme, pas vrai ?

Quelque chose passe devant moi. Réflexe, je cligne des yeux. Douleur. DOULEUR. Le fils de dok a réussi à me toucher. J’ai déjà pris des coups, je suis pas infaillible, mais cette merde a osé toucher à mon visage. Et je crois qu’il a tenté de me refaire le portrait, parce que je sens déjà mon propre sang couler dans mon col. Mon cœur s’accélère, panique, mais je tente de me calmer en expirant bruyamment, crachant un jet de sang par la même occasion. Je vais pas crever. Ça dégouline, il m’a ouvert la gueule de haut en bas. J’ai sacrément mal, mais je suis encore debout. Ça va. Je vais pas crever. Hé, connard, tu vas t’en vouloir de pas y être allé plus fort, crois-moi.

Je vois déjà son sourire qui s’agrandit. Tu penses que tu m’as eu ? Je prends appui sur mes jambes fléchies par le coup, et je bondis en retour à sa charge. Tu l’as pas vu venir celle-là hein ? Mon coup ne touche pas, mais je le surprends, et j’arrive à le déséquilibrer. Il tombe sur le dos. Autour de nous, ça continue à s’embrocher joyeusement. Je pousse d’un coup de pied un type qui reculait sur moi, et il s’écroule sur la lame tendue de Cybatt, qui m’adresse un petit signe de tête en remerciement, avant d’ouvrir grand les yeux devant ma blessure. Merci de me rassurer !

Je reviens à mon copain à terre. Quelques coups de botte dans les côtes, et il se marre moins déjà. Il roule, il essaie de se relever, je m’assois sur lui pour le maintenir au sol. Il se débat, il essaie de me frapper avec sa jambe qui n’est pas en train de se vider. Je me penche en arrière et je l’immobilise en plantant l’un de mes sabres derrière son genou. Il hurle, je me marre, et je crois pas que mon rire soit aussi théâtral que d’habitude avec tout ce sang qui jaillit de ma bouche. Par contre, c’est peut-être plus flippant, et tant mieux pour le coup. Je m’avance sur son torse, il ne peut plus rien me faire avec ses pieds. Il avait perdu un sabre en tombant, je lui fais lâcher l’autre en lui broyant le poignet avec mon talon. Il regarde autour de lui. Tu cherches de l’aide ? Je vois deux gars de son bord qui s’écroulent juste à côté, transpercés par les flèches de Shéminn. Je passe mes pieds sous ses bras, coince ceux-ci entre mes cuisses et mes mollets. Je range mes sabres à ma ceinture, et en sors ma petite dague des grandes occasions. Ma lame se reflète dans ses yeux couleur métal qui s’agrandissent à sa vue. Il couine, il m’implore, il essaie de se dégager, mais j’ai de la poigne, surtout quand je suis énervé. Et là, on peut dire que je le suis. Son regard croise le mien, et je lis sa peur. Je souris. La douleur m’arrête immédiatement, mais me motive à la suite. Je plaque sa tête au sol en l’attrapant sous le menton. Je crois qu’il sait ce qui l’attend, maintenant, parce qu’il n’arrête plus de crier et de cabrioler sous moi. Je commence, doucement. Ma lame s’enfonce dans sa joue comme dans un fruit tendre et juteux. Je suis une belle diagonale vers le nez pour rejoindre sa bouche, ouvrant un sillon bien irrigué à mon passage. Voilà qu’il gémit maintenant. Du sang coule dans son œil et se mêle à ses larmes de désespoir. Hé, tu croyais quoi ? Règle de base sur nos mers, ne jamais piquer le plan d’un autre équipage. Sinon, représailles. Et ne jamais penser qu’amocher un pirate suffira à l’arrêter, c’est pas un duel à l’amiable, mon tout beau.

J’arrive à la bouche, ma lame bute sur les dents. Je sais, je sens que la sienne m’a entamé la gencive. Je fais preuve de mansuétude, et reprends ma belle ligne sur la lèvre inférieure, pour finir une fois sur le menton. Ça doit ressembler à peu près à ce que tu m’as fait, je pense. Maintenant, on va équilibrer avec l’autre côté… J’ai pris le coup de main, on dirait. Et voilà, c’est plus joli comme ça, non ?

 

“Angus, on s’en va ?”

 

Je quitte un instant mon œuvre du regard pour lever les yeux sur Orbal. Que fait-il à bord ? Il porte un gros coffre avec l’aide de Cybatt. Les quelques sales voleurs qui tiennent encore debout sont rassemblés dans un coin du pont à se faire dessus en nous regardant débarquer. C’est bien ce que je pensais, trop rapide. Mon capitaine s’arrête un instant et me fixe. Aïe. Il fronce les sourcils. Ouais, je sais. Je soupire. Encore du sang.

Bon, je finis quand même le travail, un petit coup de lame de chaque côté du cou, bien placés. Et voilà.

Pour les quelques instants qu’il te reste à vivre, repens-toi et maudis-moi.

Châtiment (1/2)

« A ce rythme-là ça va passer trop vite pour me calmer les nerfs… »

Les sales pourritures ! Ils croient vraiment qu’ils vont pouvoir s’en sortir comme ça ?

C’était trop beau, trop simple. Je me disais bien que j’avais senti des regards pesants sur nous, à la taverne. Ces sales types qu’il y avait dans le coin, je suis sûr que c’est eux.

Les gars ont encore parlé trop fort, ou à n’importe qui. A un moment, ça va vraiment nous porter la poisse, peut-être aujourd’hui d’ailleurs. Il faut qu’ils apprennent à se tenir… C’est dingue, j’ai l’impression d’être le seul à supporter un tant soit peu la boisson avec Orbal dans cette bande.

Heureusement que Shéminn les a vu filer avec le butin, il a l’œil ce gamin. Un peu plus et on attaquait le fort pour rien, ces saloperies de biehst ont su quand on prévoyait notre assaut et l’ont pris avant nous. Ils ne pouvaient pas connaître le coup sans nous avoir écoutés, c’était déjà une aubaine pour nous.

Ça m’avait étonné qu’on ne soient pas gênés plus tôt, tout s’explique. Le sale coup de canon qu’ils viennent de nous envoyer dans la coque prouve qu’ils savent bien qu’ils ne sont pas seuls dans la course. Lomi revient de la cale, on a une voie d’eau. Les salauds !

Orbal réagit au quart de tour, il crie ses ordres vers le gréement et on ouvre une nouvelle voile. Tout de suite, une poussée. Oelynn est avec nous ! Vous allez voir, fils de putains, je vais pas vous laisser vous sauver avec nos pièces !

Je fais virer à bâbord avec Orbal, pour qu’on les rattrape à revers. Ils vont voir ce que c’est, de vrais boulets de qualité !

Touchés ! On vire dans l’autre sens, je finis de natter mes cheveux pendant qu’on s’approche, et je fonce à la cabine prendre mes sabres. Orbal est d’accord pour que je les y laisse, et j’avoue que ça m’arrange, j’ai pas très envie de confier mes beautés à ce débile de Jeg. Bon, ça arrive à tout le monde de faire des conneries, certes, même aux bons armuriers, mais je préfère m’en occuper seul. Tant qu’Orbal ne me dit rien, de toute façon, je fais ce que je veux sur ce rafiot.

Quand je remonte Orbal fait jeter les grappins, les coques s’entrechoquent. On peut pas y couper, désolé Ero, je t’entends grincer des dents d’ici mon vieux !

Un abordage dans les règles de l’art, vous voyez ça, les connards ?

Je jette ma veste à Orbal. Garde-la moi. Oui, mon grand, cette fois c’est moi qui y vais, j’ai besoin de me dégourdir un peu, et je crois que je suis encore plus remonté que toi !

Je donne le tempo aux gars en sautant le premier sur le pont des enfoirés. Bonjour ! Au revoir ! Deux sabres, j’adore, ça m’équilibre même en tempête, alors leur petit pont immobilisé ne me fait pas peur. Une tête, un bras, un cuisse, je varie les touches, ça me change.

Parce que j’aime bien porter de beaux vêtements ou prendre soin de moi un minimum, les gars s’imaginent peut-être que je n’aime pas me salir… C’est bien mal me connaître. J’aime, j’adore, tout ce sang qui dégoutte de mes gardes sur mes mains, il est encore chaud. Et quand il éclabousse ma chemise, je ris, même si je ne pourrai jamais la ravoir, qu’importe, tu pisses ta vie, pauvre merde. Regarde-moi pendant que tu crèves ! Il baisse la tête ce con ! Regarde-moi dans les yeux, là, c’est ça ! Un bon coup vers le haut, et je sors mes lames de sa poitrine pour les plonger dans le ventre et la cuisse du suivant.

Ça en fait bien sept que j’éclate depuis que je suis à bord, et je vois que les gars suivent mon exemple à côté. A ce rythme-là ça va passer trop vite pour me calmer les nerfs, mais au moins on aura rapidement récupéré notre dû.

Le blosta (2/2)

Protecteur et attaché à sa troupe, le blosta peut se montrer violent, sournois et destructeur envers d’autres créatures, que ce soit pour se défendre, ou pour conquérir des endroits où se nourrir. Ses dents et ses cornes peuvent infliger des blessures mortelles, et sa force de charge musclée peut faire chuter d’autres êtres bien plus grands que lui.
Souvent jugé stupide car un peu brutal et prompt à des actions que l’on peut parfois juger inconsidérées, le blosta est rapidement devenu une proie de choix pour les chasseurs léfenn dès leur découverte, car même s’ils peuvent être longs à traquer, ils laissent des traces évidentes de leur passage derrière eux, contrairement à bon nombre d’autres créatures. De toute évidence, il compte sur le nombre et l’interaction de sa troupe et sur sa propre défense violente pour se protéger et fait peu cas de camouflage. Sa chair est forte en goût, plutôt sèche, et se consomme cuite au feu de bois.
Mâles et femelles, peu discernables à l’œil léfenn si ce n’est par une taille légèrement différente, vivent ensemble tout le long des cycles, et les couples se forment, rarement les mêmes, à la saison froide. Il peut arriver qu’un nombre déséquilibré d’individus des deux sexes au sein d’un même groupe contraigne certains membres à s’exiler à la recherche d’un groupe plus accueillant. Les petits, par portée de deux à cinq, naissent à la saison tiède. Au lieu d’être brun à roux comme les adultes, leur pelage plus fin est vert sombre, pour se mêler à la végétation. La force qu’il acquiert rapidement en grandissant dispense le blosta d’adopter ce trompe l’œil à vie. Les petits restent généralement dans la troupe qui les a vu naître, mais décident parfois spontanément d’en rejoindre une autre, au hasard des rencontres à la saison froide arrivant avec leur maturité.
Peig est le nom que prend le blosta sous sa forme domestiquée. Des individus parmi les plus tranquilles ont été capturés pour en commencer un élevage qui a cours sur de nombreuses îles des Terres Connues. Docile, calme et même plutôt doux à force de sélections, le peig est élevé pour sa viande savoureuse depuis maintenant des générations de léfenn. Le goût de la chair a curieusement évolué avec le caractère de la créature, devenant plus gras et charnu que chez les blosta. Leurs larges oreilles sont particulièrement appréciées, mais presque tout se mange avec plaisir dans le peig, mis à part son pied dur, sa fine queue et sa grosse tête. Le poil du peig est récupéré pour concevoir des pinceaux ou des brosses pour cheveux léfenn ou fourrure animale.

Relevé d’étude de nos voisins mystérieux , Riliann Steliar.

Le Choix des Dieux

Le Choix des Dieux est un jeu ancien, presque autant que la divination par les dés. Dès que celle-ci s’est étendue avec la foi sur notre terre, on a vu fleurir ce passe-temps, sous différentes variantes. Le support pratique des dés permet au jeu de voyager, ce qui explique sa présence marquée dans les salles de repos des gardes, les troquets, ou sur les navires.

Je vous présente ici la règle régulière, qui permet de toujours trouver joueur où que vous alliez sur les Terres Connues.

Pour pouvoir jouer, vous devez réunir au moins un lanceur et un parieur, mais le nombre de joueurs, dont le rôle tournera, n’est pas limité tant que tout le monde a vue sur la partie.

Comme lorsque l’on détermine les volontés des Dieux, on utilise les symboles gravés sur les dés, mais seulement pour le plaisir de jouer.

Le but d’une partie est de réaliser des combinaisons de ces symboles pour le lanceur, et pour les parieurs de deviner laquelle va être réalisée parmi elles.

Chaque participant choisit une mise de départ, ferme pour le lanceur, et modifiable pour les parieurs. Ces derniers peuvent augmenter leur pari jusqu’au jet du troisième dé (le Devin).

Le lanceur est le dernier à choisir sa mise, qui doit être inférieure à la moyenne des mises de départ des parieurs, pour éviter de trop grands écarts de gains ou de pertes et l’impossibilité de payer pour certains joueurs.

Les mises sont traditionnellement basées sur du troc de valeurs, mais la monnaie est aussi (et souvent) utilisée. Certains jouent également sans enjeux.

Dans le jeu du Choix des Dieux, on utilise les dés divinatoires suivants : le Tertre (appelé Cohal en vieux jelki, à quatre faces), le Sage (Ambei, à six faces) et le Devin (Runbei, à huit faces).

Sur le Tertre, on trouve le sabre d’Ulepal, un arbre pour Laïlo, un nuage Am pour Telnir, et une face pleine, sans symbole, habitée par une Démonde.

Sur le Sage, les trois symboles divins sont doublés.

C’est à nouveau le cas sur le Devin, mais avec deux faces possédées par des Démondes.

On commence toujours par lancer le Tertre. Si on tombe sur la face de la Démonde, on perd, et on passe la main à un autre lanceur parmi les parieurs. Tomber sur une autre face permet de continuer. On désigne alors la divinité honorée, et les mises de départ sont annoncées.

Si c’est Telnir, la Mort est neutre. On gagne autant que l’on perd.

Si c’est Laïlo, on bénéficie de son abondance. Il y a quelque chose pour tout le monde sur sa terre. Les gains sont multipliés par quatre si la combinaison est réussie, et si on échoue la mise est tout de même récupérée.

Si c’est Ulepal, on peut aller loin sur une mer calme, mais aussi subir une tempête empreinte de son courroux. Les gains sont doublés en cas de succès, mais si échec on perd le triple de ce qu’on a misé.

On jette ensuite le Sage. C’est la phase déterminante de la partie, car on commence à entrevoir les combinaisons possibles. Ce lancer permet de confirmer la combinaison tentée.

Avec le Sage, vous avez deux chances de tomber sur un symbole identique à celui du Tertre, et de doubler, créant ainsi une Belle Offrande (Lonnga). Une fois le symbole doublé, vous faites monter les gains, et si vous triplez le symbole avec un Don (Palga) au Devin, ils augmentent encore plus.

Cette règle est valable quel que soit le symbole.

En tombant sur un symbole différent au Sage, on s’engage sur d’autres combinaisons.

C’est là que réside l’intérêt de faire monter les paris. Les parieurs ne peuvent jamais abaisser un pari, mais peuvent toujours le monter. On peut le faire en fonction des combinaisons que l’on pense le lanceur susceptible de réaliser.

Une fois le Devin lancé, tous les parieurs et joueurs doivent faire silence, et laisser s’exprimer les dés.

Les combinaisons peuvent être gagnantes ou perdantes, voici une table des gains ou des pertes occasionnés  :

Rappel : Tout Tertre révélant une Démonde annule la partie. On doit passer la main à un autre lanceur.

Tout autre symbole engage envers un Dieu pour la partie.

  • Les combinaisons d’Ulepal :

Combinaisons gagnantes :

Sabre, Sabre, Sabre : Pleine Mer – Palga Ulepal (pouvoir du symbole divin et Don : multiplie la mise par six)

Sabre, Sabre, Arbre (ou Sabre, Arbre, Sabre) : Naissance de Mildenn (Belle Offrande et combinaison mythique : double et double : quadruple la mise)

Sabre, Sabre, Nuage (ou Sabre, Nuage, Sabre) : Perdus en Mer (Belle Offrande et combinaison neutre : double et récupération de la mise initiale en plus)

Sabre, Arbre, Nuage (ou Sabre, Nuage, Arbre) : Le Rivage (vous récupérez votre mise, et son tiers arrondi au supérieur).

Sabre, Arbre, Arbre : Conflit éternel – Attaque (on multiplie la mise par trois)

Combinaisons perdantes :

Sabre, Sabre, Démonde : Tourbillon (on perd le triple de la mise)

Sabre, Arbre, Démonde : Fin du Monde (combinaison mythique, le pire résultat au niveau présage, mais Laïlo adoucit le résultat : on perd le triple de sa mise mais on en garde le tiers arrondi au supérieur de celle-ci. Par exemple, si vous misiez 3 elis, vous en perdrez 8 et en récupérerez 1)

Sabre, Nuage, Démonde : Mort violente (on perd le double de la mise)

Sabre, Nuage, Nuage : Noyés (on divise la mise par trois à l’inférieur)

– Les combinaisons de Laïlo :

Combinaisons gagnantes :

Arbre, Arbre, Arbre : Forêt Divine – Palga Laïlo (pouvoir du symbole divin et Don : multiplie la mise par douze)

Arbre, Arbre, Sabre (ou Arbre, Sabre, Arbre) : Élévation de Mildenn (Belle Offrande et combinaison mythique : double et quadruple : la mise est multipliée par huit)

Arbre, Arbre, Nuage (ou Arbre, Nuage, Arbre) : La Moisson (Belle Offrande et combinaison neutre : quadruple et récupération de la mise initiale en plus)

Arbre, Arbre, Démonde : Séisme (on récupère sa mise).

Arbre, Sabre, Nuage (ou Arbre, Nuage, Sabre) : La Falaise (vous récupérez votre mise et sa moitié arrondie au supérieur).

Arbre, Sabre, Sabre : Conflit éternel – Défense (on multiplie sa mise par neuf)

Arbre, Nuage, Nuage : Bûcher (on double la mise)

Combinaisons perdantes :

Arbre, Sabre, Démonde : Fin du Monde (combinaison mythique, l’un des pires résultat au niveau présage, mais Laïlo adoucit le résultat : on perd le triple de sa mise mais on en garde le tiers de celle-ci. Par exemple, si vous misiez 3 elis, vous en perdrez 8 et en récupérerez 1)

Arbre, Nuage, Démonde : Mort douce (on perd sa mise)

– Les combinaisons de Telnir :

Combinaisons gagnantes :

Nuage, Nuage, Nuage : Spélonque des Morts – Palga Telnir (pouvoir du symbole divin et Don : multiplie la mise par neuf)

Nuage, Nuage, Sabre (ou Nuage, Sabre, Nuage) : Armée des Mers (Belle Offrande et combinaison mythique : double et triple : la mise est multipliée par six)

Nuage, Nuage, Arbre (ou Nuage, Arbre, Nuage) : La Sécheresse (Belle Offrande et combinaison neutre : double et récupération de la mise initiale en plus)

Nuage, Sabre, Arbre (ou Nuage, Arbre, Sabre) : La Chute (vous récupérez votre mise et son tiers arrondi à l’inférieur).

Nuage, Arbre, Arbre : Saison Froide (on multiplie la mise par quatre)

Combinaisons perdantes :

Nuage, Nuage, Démonde : Errance éternelle (on perd sa mise, plus la moitié de sa mise arrondie au supérieur)

Nuage, Sabre, Démonde : Mort violente (on perd le double de la mise)

Nuage, Arbre, Démonde : Mort douce (on perd sa mise)

Nuage, Sabre, Sabre : Tempête (on divise la mise par trois)

– Calcul des gains et des pertes :

Gains et pertes du lanceur

Les gains ou les pertes du lanceur s’estiment par rapport à la combinaison effectuée.

Si le lanceur a obtenu une combinaison gagnante, les parieurs qui n’avaient pas découvert la combinaison le payent avec ce qu’ils avaient misé.

Si les gains sont plus élevés, on paye ensuite avec le fonds commun créé lors d’éventuelles parties précédentes. Si c’est la première partie (ou qu’il n’y a pas de fonds commun) les parieurs perdants utilisent leurs fonds personnels.

Si tous les parieurs avaient estimé la bonne combinaison, ils s’associent à parts égales pour le paiement de ses gains au lanceur si le fonds commun est insuffisant ou n’existe pas.

Si le lanceur est tombé sur une combinaison perdante, il paye à l’aide de sa mise et complète avec ses fonds personnels.

Les parieurs qui ont trouvé la combinaison récupèrent ses pertes à parts égales.

Si aucun parieur n’a trouvé la combinaison, le lanceur enrichit par ses pertes le fonds commun pour les parties à venir. Si le jeu se termine, ce qu’il a perdu est partagé entre tous les parieurs.

Gains et pertes du ou des parieur/s

Si la combinaison était gagnante pour le lanceur :

Les parieurs qui ont trouvé la combinaison réalisée remportent leur mise et un ajout égal pour chacun issu du fonds commun ou de la part du lanceur s’il n’y a pas de fonds.

Les parieurs perdants perdent leur mise dans le paiement des gains du lanceur.

Si la combinaison était perdante pour le lanceur :

Les parieurs qui ont trouvé la combinaison réalisée remportent leur mise et se partagent à parts égales celles des parieurs perdants ainsi que les pertes du lanceur. S’il y a un surplus indivisible, il est conservé en fonds pour les parties suivantes. Si le jeu se termine là, le surplus est cédé au lanceur.

Si tous les parieurs ont trouvé la bonne combinaison, chacun récupére ce qu’il a misé et partage équitablement avec les autres les pertes du lanceur. S’il y a un surplus indivisible, il est conservé en fonds pour les parties suivantes. Si le jeu se termine là, le surplus est cédé au lanceur.

Si personne n’a trouvé la bonne combinaison, les mises rejoignent les pertes du lanceur et sont transformées en fonds conservé pour les parties suivantes. Si le jeu se termine là, la somme est répartie équitablement entre tous les joueurs, et le dernier lanceur récupère l’eventuel surplus indivisible.

Quand tous les paiements sont effectués, le lanceur passe la main à un autre parieur, et une nouvelle partie peut commencer. A l’issue de chaque partie, des parieurs peuvent rejoindre le jeu. Il est également possible de quitter la jeu après une partie, au risque de laisser quelques elis aux joueurs restants…

Jeux d’hier, d’ailleurs, de toujours, Officier Mido Lesti

Le blosta (1/2)

Son dos courbé arrive à la hauteur d’un léfenn adulte de bonne taille. Doté d’une fourrure hérissée et épaisse, le blosta a des cornes courtes et pointues, deux longues dents recourbées vers l’extérieur et un gros museau épaté aux narines tournées vers l’avant. Disposés sur les côtés d’une face fuselée, ses petits yeux sont souvent noirs, mais certains blosta possèdent un iris teinté de rouge ou de jaune, qui rend leur regard plus pénétrant. Ses quatre courtes pattes munies de trois doigts à l’ongle dur et noir sont puissantes et musculeuses, et lui permettent de se déplacer longuement tout le jour durant.

 

Vivant en troupe, les blosta ne se fixent jamais vraiment à un seul endroit, partant à la recherche des grandes quantités de nourriture dont a besoin leur corps massif et trapu. Ils évoluent principalement en forêt, sous le couvert des arbres et des buissons, se nourrissant de graines et bulbes, d’insectes, d’écorce, d’herbe et de rameaux verts. Leur groupe est organisé pour que chaque membre puisse se nourrir à sa faim, ou soit défendu en cas d’attaque de prédateurs. Les blosta communiquent par des grondements sourds et de courts cris stridents, mais je soupçonne leur langage d’être plus développé encore que ce que nous léfenn en percevons, car ils sont remarquablement organisés et prennent leurs décisions comme un seul être.

 

Relevé d’étude de nos voisins mystérieux , Riliann Steliar.

Le sacre (2/2)

« Peuple de Perr, tu prospéreras. Je serai celle qui prouvera à tous qu’une reine a la valeur d’un roi. »

Sacre2 copy

La tête haute, le pas décidé, elle arborait un air résolu et rayonnant sur le visage, même si ses yeux m’ont semblé tristes. Le deuil, sûrement. Cette pauvre enfant n’avait pas longtemps connu sa mère, et elle perdait son modèle et le dernier membre de sa famille avec son père. Mais si cela l’affligeait sans nul doute, elle avait choisi d’aller de l’avant, et d’affronter son règne précoce et inédit avec détermination. Sa robe bouffante reprenait les couleurs de la décoration, en étant soulignée par un décolleté, une ceinture et une bordure noirs.
Si cette tenue était très élégante, elle n’était pas aussi faste que d’autres qu’on pouvait voir sur les nobles l’entourant, ou les portraits de ses ancêtres. Elle avait les cheveux très longs, très noirs, remontés en une haute coiffure enrubannée elle aussi, qui tenait je ne sais comment. Ses bras nus sous le coude n’arboraient aucun bijou, tout comme sa gorge. Sa peau tannée par le soleil contrastait avec la pâleur de la noblesse qui la regardait s’avancer. On m’avait dit qu’elle était souvent à l’extérieur, à aider aux champs ou à s’entraîner au combat avec le maître d’armes royal (tu te rends compte !), mais j’avais toujours cru à des bruits exagérés. Force était de constater qu’il devait au moins y avoir un fond de vérité. Malgré cette différence et sans les atours qu’on imagine, je suppose, sur toute personne de son rang, elle dégageait pourtant une grande grâce et un aplomb indiscutables.
Après un silence un peu long, que je me demande si la surprise n’a pas prolongé, l’orchestre a repris sa musique. On a murmuré à côté de moi que c’était « La Marche vers le Trône ». Son pas s’est appliqué au rythme de la mélodie, et elle est arrivée près de l’Intendant au ravissement de l’assemblée. Montée à son niveau, elle s’est retournée vers nous, et j’ai pu mieux voir son visage. Elle a souri, un tout petit instant. Puis elle a commencé son discours. Les phrases du début étaient celles consacrées :
« Peuple de Perr, j’accepte aujourd’hui la charge et le nom que mon sang réclame. Je jure devant toi d’offrir ma vie à la couronne, pour le meilleur et contre le pire. »
Elle s’est arrêtée. Le contrat venait d’arriver, porté par un domestique sur une sorte de haut guéridon portable, avec un grand verre vide. Normalement, c’est là que l’Intendant devait lui transmettre le pouvoir. Mais elle a ensuite ajouté ces paroles improvisées :
« Je m’engage solennellement à te donner une chance, une éducation, un travail, une écoute. Tu pourras grandir et manger chaque jour. Peuple de Perr, tu prospéreras. Je serai celle qui prouvera à tous qu’une reine a la valeur d’un roi. »
L’Intendant eut l’air un peu bousculé, et j’entendis des chuchotements s’élever autour de moi. Je ne sais pas trop ce qu’ils disaient, mais moi, j’étais agréablement surprise par la conviction de son ton. Elle venait de frapper fort, je crois.  Enfin, la cérémonie a repris comme prévu, et l’Intendant a tendu le Bracelet du Pouvoir à la Princesse. Elle l’a passé au bras gauche, en a fait sortir la pointe, et s’est ouvert avec le long doigt de la main droite, comme la tradition l’exige, apparemment. Si tu veux mon avis, je ne comprendrai jamais ce qu’ont les Nobles avec ça, très franchement… ! Elle a fait couler quelques gouttes de sang dans le verre, puis y a trempé une tige, et a signé le contrat de succession au trône avec. C’était acté. L’Intendant a dit alors :
« Peuple de Perr, moi, Intendant Jalist Luesa, assure la transition du pouvoir du Roi Celiam Perr-Tis à Navida de Perr. Princesse Navida, première du nom, prenez aujourd’hui celui de Reine Navida Perr-Is. »
Elle s’est inclinée, et il a sorti la couronne pour la poser sur ses beaux cheveux noirs. Des acclamations et des applaudissements nourris sont partis du public, et je me suis gaiement jointe à la fête. Notre Reine était rayonnante quand elle s’est redressée, tout sourire.  Personne ne savait encore à ce moment-là que tout ce qu’elle avait annoncé n’était pas que belles paroles. Rien n’est sûr, elle ne règne que depuis un cycle. Pourtant, je crois sentir que les choses changent. Pas toi ?

 

Affectueusement,

Naniatt Kiple.
Au fait, merci pour les noix de tacho, elles étaient succulentes !

Le sacre (1/2)

La forteresse fière et austère que j’avais connue s’était changée en palais de beauté.

Sacre1

Ma chère Tilkinn,

Comment vas-tu ? Je sais que je ne t’ai pas écrit depuis un moment, mais j’ai eu beaucoup à faire avec la grossesse de ma sœur Patrèl. Un petit Halz est né, en parfaite santé, même si on a été un peu inquiets pour sa mère sur la fin : elle était très fatiguée et ne pouvait plus travailler aux bains.

On arrive seulement maintenant à trouver du temps chacun pour nous, où je peux enfin t’écrire.

Je t’avais promis que je te raconterais ce si beau spectacle auquel j’ai pu assister, le Sacre de la Reine. Cela remonte à presque un cycle, comme le bruit des rues et son lot d’informations me le rappellent souvent, et je m’en souviens pourtant comme si c’était hier !

 

Il gelait, et il avait même neigé. Je ne suis pas arrivée très en avance, alors que toute la ville royale semblait en effervescence pour cet événement dès le matin. J’ai dû aller accoucher une jeune meunière non loin des remparts extérieurs, son petit est venu un peu plus tôt que prévu. Ça tombait mal, mais on ne choisit pas, comme tu le sais !

Je suis montée vers le château au trot, sans pouvoir trouver qui que ce soit pour m’emmener plus vite : toutes les rues m’ont paru vidées de leur foule habituelle. Pourtant, les torchères étaient allumées sur ma route, comme pour former un chemin vers le trône en partant du plus bas pour la nouvelle souveraine, ou en tout cas pour me guider, moi, jusque là-haut.

Plus je me rapprochais, plus la rumeur enflait, et avec elle les fumets de viandes farcies rôties pour l’occasion, ou les pâtisseries épicées. En remontant les rues chargées de neige molle et noircie par les pas d’une ville entière, je voyais les tavernes ouvertes, avec leurs fenêtres fumantes qui offraient leur musique joyeuse, leurs rires, et l’odeur de la bière fraîche. En tant que naisseuse officielle, j’avais la chance de faire partie des invités, car la plupart ne pourraient fêter l’avènement qu’ici, même s’ils ne s’en privaient pas. Quand enfin je suis arrivée au pied de la citadelle royale, j’ai dû me frayer un chemin dans les badauds qui s’étaient rassemblés là pour entendre l’orchestre du trône jouer pour la cérémonie. Des messieurs et dames dans leurs beaux habits m’ont regardée de travers, moi en robe de petite mise qui tendait aux gardes mon papier pour entrer. Si je n’avais pas été aussi en retard, je leur aurais souri pour leur faire les dents, tiens !

 

Je n’étais pas revenue au château depuis la naissance de la princesse. Il faut dire qu’on n’entre pas aussi facilement qu’ailleurs ici, il faut une bonne raison. Je me souvenais de murs de pierre nue, élégants mais sobres. Quand je suis entrée ce jour-là, tout était éclairé, comme dans les rues, et des rubans roses, rouges, blancs et mauves descendaient de la voûte, s’accrochaient aux angles et cascadaient jusqu’au plancher, pour finir en panaches gracieux. La forteresse fière et austère que j’avais connue s’était changée en palais de beauté. Guidée par un garde, j’ai suivi ce beau couloir, pour déboucher dans une cour à l’air libre tout aussi décorée. Puis nous avons pris l’escalier principal, revêtu d’un tapis pourpre moelleux. L’orchestre que j’entendais depuis mon arrivée se trouvait en haut. Je n’avais jamais vu certains des instruments, qui ne quittent probablement pas les salles du château : grands tubes entortillés, sûrement en bois, ornés de cornes de diul chargées de rubans, au son grave et puissant. Et aussi un immense cadre peint, portant de nombreuses cordes tendues de toutes tailles, joué par deux musiciens. C’était somptueux, et très mélodieux. J’ai entendu quelqu’un dire qu’aux partitions traditionnelles de sacre avaient été ajoutées certaines composées par la princesse ! Il y avait à nouveau foule, et, comme je ne suis pas bien grande, le garde m’a gentiment aidée à avancer pour mieux voir.

 

J’étais dans la grande salle du trône, celle qui sert à recevoir les doléances, ainsi que les visiteurs d’autres royaumes. Sur l’un des côtés on trouve de grandes tapisseries qui reprennent l’histoire de notre pays, et de l’autre de hautes fenêtres laissent entrer la lumière. Ce soir elles étaient encadrées de torchères et donnaient sur la ville illuminée en contrebas.

Je suis arrivée juste à temps, car la musique s’est arrêtée peu de temps après que j’aie pu prendre ma place. Tous les gens présents attendaient, silencieux, entourant un chemin ouvert entre le trône, laissé vide depuis la mort de notre Roi, et une grande porte de bois. Près du siège, il y avait l’Intendant qui avait assuré la transition les jours séparant la perte de notre souverain du sacre. Le Bracelet du Pouvoir ceignait toujours son poignet, et il tenait une grande boîte de verre, dans laquelle se trouvait la couronne, même si je ne la distinguais pas encore bien à ce moment-là. Les gonds de la porte grincèrent, je retins mon souffle et elle apparut.

La princesse avait bien changé. C’est sûr, personnellement, je la trouvais particulièrement différente du joli bébé que j’avais accueilli dans mes bras. Mais je ne retrouvais pas la créature fragile et tremblante que les témoins des funérailles de son père avaient décrite.

C’était déjà une reine qui s’avançait maintenant sur le sol de pierre.

Robert 1

robert1

Robert, Robert.

Robert est un gros lapin de Garenne, qui vit dans son terrier avec sa grosse lapine Regina et leurs lapereaux un peu moins gros.

Robert a des horizons limités, mais il aime bien donner son avis sur tout.

Robert aime bien aller s’en jeter un avec ses copains, à la Buvette du Sous-Bois.

L’établissement n’est pas toujours bien famé, il vaut mieux éviter d’y aller trop tard si on veut pas être emmerdé quand on est un gros lapin comme lui. Il y a déjà vu une ou deux fois Piotr, ce sale rouquin au sourire carnassier, et aux dents qui rayent le plancher. Piotr est plutôt malin, et Robert n’aime pas trop ça, il a l’impression que Piotr voit loin au fond de ses yeux tout ronds, et ça le met un peu mal à l’aise. Robert sent ses grandes oreilles se coucher sur sa nuque quand Piotr le regarde, et il ne sait jamais comment réagir. Ce type lui fout les glandes, et il ne veut pas que les copains le voient comme ça. Et qui sait, peut-être qu’il est sérieux, Piotr, quand il le menace gratuitement. Robert a honte, mais il préfère se contenter de soutenir son regard. En général, ça permet de voir venir les coups, et ça ne tue pas.

Et il n’y a pas que Piotr. Quand on reste après cinq heures de l’après-midi, surtout dans la moitié froide de l’année, où les jours sont plus courts, le barman change. Ce n’est plus François, ce brave crapaud fin zythologue, c’est Gisèle, une vieille chouette, qui prend le relais. Gisèle, elle ne fait pas de réduction, même aux habitués comme Robert. Elle ne parle pas trop, Gisèle, et Robert n’aime pas les gens silencieux, parce qu’il adore écouter les autres, ça le calme. Et elle a un peu le même regard que Piotr, parfois. Sa manucure est un peu spéciale, Robert ne le montre pas, mais quand elle le sert, il pense toujours qu’elle va garder sa patte de lapin en échange du verre, et il flippe un peu. Ce serait pas de chance, et un peu gênant au quotidien. Pour se rassurer et crever le silence du trou, il sort : « Encore vos coquetteries de dame, là, du Nélar, c’est ça ? J’ai vu ça dans les magazines de Regy, elles font ça partout maintenant ! Mais vous blessez personne avec vos trucs ? Pas faciles de se torcher avec ça, non ?  »

Et de déclencher l’hilarité de ses copains Momo le blaireau -« c’est Mohammed, pas Maurice, mais c’est long, je sais », répond-t-il quand on se trompe. Momo finit souvent ses phrases par « je sais »- et Franck la martre. Gisèle ne dit rien, cligne de ses grands yeux jaunes. On ne sait pas trop si c’est parce qu’elle trouve ça drôle elle-aussi, ou si c’est parce qu’elle est choquée ou qu’elle n’en a rien à foutre, et qu’elle balaie ces conneries d’un battement de paupière. Parfois elle lâche un soupir, ou claque du bec, ce qui fait sursauter Benjamin, le voisin campagnol de Robert, qui s’incruste parfois au comptoir avec eux.

Robert n’aime pas trop Benjamin, parce qu’il est tout mince alors qu’il n’arrête pas de bouffer. A croire que Bernardine, sa femme, ne lui fait rien de bon. Benjamin vient toujours avec sa croûte à casser, souvent des gros grains de blé bien dorés. Des trucs qui font saliver Robert, mais si Regina voyait qu’il se met bien à la buvette, elle lui ferait la gueule. Et puis Benjamin, il ne l’a jamais vu partager, de toute façon. Benjamin, son gros problème, c’est surtout qu’il est très bavard, et qu’il parle souvent pour ne rien dire. Ça fait souvent rire Momo, parfois Franck -même si lui trouve que « Benj ne sait pas gérer ses gosses », et le répète souvent quand il n’est pas là- alors du coup Robert rigole aussi, même s’il trouve pas ça drôle.

Mais par exemple, l’autre jour, Robert était venu à la buvette du Sous-Bois après un gros plat de flageolets. Regina s’était décarcassée et c’était très bon, mais le gros ventre de Robert n’a pas tardé à faire de longs gargouillis, et comme la digestion des lapins est rapide et efficace, il a commencé à péter à son arrivée. Momo et Franck étaient déjà là, au comptoir, et Robert s’est empressé de raconter ses histoires de gaz, toujours prêt à faire rire les copains. C’était plutôt drôle pour un blaireau et une martre, parce que les pets de lapin, ça ne vaut rien, ça ne fait presque pas de bruit, et ça laisse juste son odeur de légume. Le truc furtif et un peu sournois, qui fait bien rigoler. Et puis voilà que Benjamin est arrivé, en mâchant un truc, comme d’habitude. Il a grimpé sur son tabouret et s’est immiscé dans le groupe et la conversation, captant rapidement le sujet, enfin, on pouvait le penser. Et puis, dans le silence après le fou rire qu’un pet un peu plus sonore avait provoqué, il a sorti, la bouche pleine et tout sourire : « Les pets, c’est un peu le chant des trous du cul. » Momo, qui essuyait ses larmes du précédent éclat était reparti de plus belle, et Franck l’avait suivi immédiatement. Mais Robert s’était tourné vers les deux boutons de bottine qui servaient d’yeux à Benjamin, et avait regardé loin dedans, comme Piotr. Il n’avait rien vu, et Benjamin ne disait plus un mot, mais Robert n’avait pas aimé ça, parce qu’il ne sait pas chanter.

Origine (3/3)

« Tu as pris ta propre existence en main en quittant mon royaume pour trouver seul ce qui te rendrait unique, peut-être par hasard. »

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Il marcha en suivant sans le savoir la route tracée par la balle de terre qu’il fut, traversant la forêt, les champs, remontant les couloirs ornés de minerais, pour finalement entrer dans la plus grande chambre, sans fenêtre comme le reste des pièces, mais éclairée d’une lumière diffuse dont il ne distinguait pas la source.
Laïlo s’éveilla à son arrivée, comme si Mildenn venait de l’animer. Ses longs cheveux qui faisaient comme un drap sous son corps, s’élevèrent avant sa tête, légers, pour s’épanouir autour de lui, dorés comme les champs que Mildenn avait traversés. La beauté de Laïlo le frappa, irradiante de grâce, comme de force. Son corps était à la fois fin et solide, musclé et délicat. Ses yeux larges et immenses, verts comme les mousses de la forêt, le fixaient avec bienveillance. Une voix caressante mais puissante résonna dans sa tête, tandis que les lèvres charnues face à lui esquissèrent un sourire :
« Bienvenue Mildenn, mon enfant. Tu es plus beau et plus fort que dans mon rêve. Mon frère Ulepal peut se révéler agréablement surprenant malgré lui. »
Subjugué par la beauté de l’être lui faisant face, Mildenn parvint tout de même à répondre :
« Ainsi, c’est toi qui m’a créé ? »
Laïlo sourit davantage. Sa voix reprit dans l’esprit de Mildenn :
« Oui, et non. Tu as pris ta propre existence en main en quittant mon royaume pour trouver seul ce qui te rendrait unique, peut-être par hasard. Ulepal t’a achevé sans s’en rendre compte, dans le but d’agrandir son armée. Mais tu es différent, car tu as pris de moi et d’Oelynn pour devenir Mildenn, le premier léfenn, « celui qui va ». »
Mildenn réalisa alors pleinement qu’il était, qu’il vivait, et aussi qu’il était seul.
Comme s’iel avait compris ce qu’il ressentait soudain, Laïlo ajouta :
« Rassure-toi, tu ne le seras pas longtemps. Mes terres sont immenses, et j’aimerais te voir y grandir. Prends soin d’elles, et elles te le rendront. Mon frère ne comprend pas que nous avons besoin l’un de l’autre pour exister. Toi, notre enfant, pourra peut-être parvenir à le dompter et à nous unir durablement.
– Mais comment ? »
Laïlo leva un bras gracile mais ferme en direction du couloir.
« Suis cette voie, et prends place et repos dans une chambre, tu dois être las. Tu trouveras tes réponses, je n’en doute pas. »
Mildenn sentit effectivement son corps lui peser, comme vidé d’une partie de sa substance. Ses pas l’amenèrent jusqu’à une chambre voisine. Il s’étendit sur une dalle surélevée, et s’endormit, comme Laïlo.

Il se mit à rêver.

Mildenn ne sut pas combien de temps il s’était assoupi, mais du bruit et du mouvement l’éveillèrent. Quand il ouvrit les yeux, une entité semblable à lui se tenait debout dans la pièce et le regardait.
Elle lui ressemblait beaucoup, mais empruntait de sa beauté à Laïlo. Elle apparaissait comme une copie, mieux finie, du modèle qu’il était. Façonné par le hasard, le rêve et diverses émotions, Mildenn pouvait voir que ce deuxième léfenn, unique de son côté, avait été imaginé avec ce que lui n’avait pas, pour l’améliorer et le finir complètement.
Il se leva et s’approcha, constatant leurs différences, le désir de toucher et de connaître ce deuxième grandissant dans son ventre. L’autre marcha vers lui aussi.
« Mildenn. J’ai rêvé de toi. Je serai Naeza.
Le corps souple et plus doux de Naeza rencontra la peau rugueuse de Mildenn et frissonna. Il s’avança doucement, et poussa le premier léfenn contre la dalle où il reposait quelques instants auparavant, et s’allongea sur lui, leurs corps se fondant l’un dans l’autre, achevant leur création.
Quand Mildenn et Naeza s’éveillèrent, la chambre à la lumière éternelle et le palais de pierre avaient disparu. Ils se trouvaient sur la mousse, près d’un champ, à l’orée de la forêt.
Leur vie commençait.