Baptiste et les sirènes

« – Est-ce que tu as peur de Superman ?

– Heu… Oui, c’est pour les garçons, je suis bête. »

 

Ils entrent dans la rame de métro. Bruyants, nombreux. Pas tant que ça, une dizaine tout au plus, mais enflant le volume comme vingt autres le feraient. Des enfants, une classe, niveau petite primaire, fin de maternelle. Six ans pour les plus vieux, grand maximum. Ils s’égaillent dans la rame, encadrés par plusieurs jeunes adultes. Des moniteurs de colonie de vacances, de classe verte, ou de centre aéré. Deux petites filles, hésitantes, entrent parmi les derniers, parcourant des yeux ce nouvel endroit comme la galerie d’un musée.

 

C’est plus calme maintenant, les enfants ont trouvé des sièges, et les deux gamines sont assises côte à côte sur des strapontins, près de leur moniteur qui tient une barre face à elles. Leurs regards font toujours le tour du lieu, analysant matériel et passagers. L’une finit par lancer à l’autre :

 

« T’as vu, on est dans le métro maintenant. C’est sous la terre.

– Oui, on est sous la terre.

 

– On est sous la terre, mais ça fait pas peur, non.

 

– Il fait tout noir, mais ici il y a la lumière.

 

– Oui, on est protégés dans le métro ! »

 

Ravies par ce constat rassurant, elles parcourent à nouveau les lieux d’un regard curieux.

 

« Et si y a le feu ? »

 

L’autre dévisage sa copine un instant, puis sort, très docte :

 

« Bah on court et on sort, ça s’arrête.

 

– Et comment on sait si y a le feu ?

 

– Y a de la fumée. Si y a pas de fumée, y a pas de feu.

 

– Oui. »

 

Un ange passe. Soudain, l’une s’écrie :

 

« Oh ! Là ! De la fumée !

 

– Où ? Je vois pas ! »

 

Son amie désigne un point éloigné de la rame.

 

« Mais si, là, regarde ! Non, c’est pas vrai, je plaisante. »

 

L’autre semble dubitative. Elle se tourne vers l’accompagnateur qui veille sur elles :

 

« Baptiste, elle dit que y a le feu, mais c’est pas vrai ! »

 

Elles rient toutes deux, minaudent, appréciant visiblement ce jeune moniteur. Devant son simple sourire silencieux en réponse à leur babillage, elles reprennent leur discussion :

 

« Dis, t’as peur du noir ?

 

– Non.

 

– Du sang ? Des squelettes ?

 

– Non.

 

– Des vrais squelettes ?

 

-Non.

 

– Est-ce que tu as peur de Superman ?

 

– Heu… Oui, c’est pour les garçons, je suis bête. »

 

A court d’idées, la petite marque une pause, mais pour rebondir aussitôt :

 

« Hé, on fait une blague ? »

 

Sa copine acquiesce, et l’autre hausse la voix à l’intention de leur accompagnateur :

 

« Baptiste, y a le feu sur toi ! »

 

Cette fois, le sus-nommé réagit, perplexe.

 

« Pardon ?

– Sur tes cheveux, dans ta barbe ! »

 

Il soupire.

 

« Mais non, y a pas le feu. Reste bien assise.

– Hé, Baptiste… Pourquoi tu as les yeux en ponts ?

 

– Quoi ?!

 

– Pourquoi tu as les yeux en ponts… »

 

Elle se tourne vers son amie :

 

« Il a les yeux en radis !

– T’as les yeux en radis !

 

– T’as les yeux en… fraise !

 

 

– T’as les yeux en carottes ! »

 

J’ai quitté la rame. Parfois, la vérité dépasse la fiction.

 

C’était en 2012, à Paris.

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