Litha

Thème : Chaleur

Contrainte : Se déroule lors d’une fête.

***

Goulwen avait regardé la tenture de fil tressé prendre doucement la couleur des premières lueurs de l’aube. Allongé sur sa paillasse, le sommeil l’avait fui toute la nuit. Ce jour qui commençait déjà, le plus long de l’année, était si important que le sang du jeune mage avait bouilli sans lui laisser de repos. Cependant, il ne s’en inquiétait pas. La fièvre saine qui le tenait, faisant courir en lui la même sève vitale qui épanouissait les arbres au-dehors, lui permettrait de rester fort pour cette nouvelle journée de célébration. Ce cycle voyait la consécration de Goulwen, où il était seul chargé depuis Ostara, de certains aspects des festivités. Son mentor Kaelig le suivait encore comme une ombre, surtout pour les prières et les rassemblements. Pourtant, le jeune mage confirmait avec dévotion et fine mémoire avoir reçu son enseignement.

Au côté de Goulwen, Aenor dormait paisiblement. Abandonnée aux songes, elle semblait moins âgée. Le souci l’avait quittée pour la nuit, rendant ses traits plus doux, comme si ces derniers avaient trouvé avec elle le repos. Le mage espérait de toute son âme que ce troisième jour de Litha, point culminant de l’influence de l’autre monde sur le leur, parviendrait à réchauffer le cœur de sa compagne.

L’astre solaire s’immisça dans leur demeure, par la fine fente entre la tenture et le cadre de branches nouées qui perçait le mur. Un rayon tiède toucha la main de Goulwen. Enfin.

Prenant garde à ne pas réveiller Aenor, il quitta leur couche déjà vêtu de sa robe blanche, chaussa ses brogues et sortit de leur hutte sur la pointe des pieds.

La place du village qui lui faisait face restait marquée par Litha tout le long de la fête. Des cordes avaient été tendues entre les habitations, unissant tous les membres du clan dans la liesse. On y avait accroché des rubans colorés, qui claquaient doucement sous un vent encore frais. Les grandes tables ne seraient démontées qu’à la fin de la célébration, et n’attendaient plus que d’être à nouveau garnies de mets délicieux offerts par le rayonnement des dieux. Au centre, l’immense feu brûlait depuis deux jours, entretenu sans relâche par les plus jeunes apprentis de Kaelig, irradiant jusqu’en soi. Goulwen se rappelait avec nostalgie ses veilles du foyer, où il se trouvait saisi d’une torpeur mêlant sommeil et émerveillement, hypnotisé par la lumière changeante de la fournaise. Après un sourire à ces doux souvenirs et à ses condisciples, le mage emporta avec lui la touffeur des flammes en s’enfonçant dans les bois bordant le village.

Sous les frondaisons, les rayons solaires formaient des colonnes mouvantes où dansaient les graines légères. Ils touchaient les feuilles, transformant les gouttes d’une rosée persistante en trésors d’un verrier divin. À la recherche de plantes précises, Goulwen se ravissait de ce spectacle sans pour autant avoir le temps d’en profiter. Il n’aurait que quelques heures, à peine, pour mener à bien sa quête avant d’être appelé à officier aux festivités et que les pouvoirs des simples ne s’amenuisent.

***

Aenor s’éveilla quand les rayons caressèrent son front. Elle avait merveilleusement bien dormi. Litha l’avait tant occupée dans ses préparatifs et sa bonne tenue qu’elle ne pensait pas qu’elle aurait tant récupéré. C’était peut-être l’énergie débordante du dieu cerf qui coulait en elle, au moins un peu, et la touchait de sa puissance. Elle ôta le drap de toile qui la recouvrait, et l’astre solaire joua sur son corps nu. Une curieuse pudeur réchauffa ses joues, et elle se leva pour se vêtir.

Aenor déplia sa plus belle tenue de fête, celle qu’elle avait gardée pour ce point culminant. Pour le plus long jour de ce cycle, elle porterait sa robe rouge, tissée de losanges orangés sur le buste, à la manière d’autant de flammes sous le soleil. Comme la plupart des femmes de son clan, elle aimait honorer la puissance puis le déclin du grand chêne en un dégradé de couleurs chaudes. Elle avait porté sa robe jaune pour le premier jour et la passerait à nouveau le dernier. Sa tenue orangée l’avait ceinte le second et reviendrait l’orner au pénultième. Aenor ne réservait cette splendeur carmine qu’au zénith de ce jour si particulier. Ainsi apprêtée, elle tressa ses cheveux et rejoignit ses voisins pour aider à préparer le festin qui les nourrirait tous aujourd’hui.

***

Le son d’une flûte, lointain, titilla l’oreille de Goulwen. Les célébrations commençaient-elles déjà ? S’était-il tant éloigné de son clan ? Accroupi dans les fougères, il se redressa, attentif. Il ne reconnut pas cette partie des bois, plus dense, tant il avait mené ses recherches le regard rivé au sol. Il était parvenu à rassembler des branches de rue, dont les fleurs jaunes lui coloraient les mains, et venait de trouver du basilic, identifiable à sa feuille bombée, qu’il avait froissée pour s’assurer qu’il avait bien affaire à cet entêtant aromate. Il ne lui restait plus que le sorbier, facile à repérer grâce à sa taille importante et ses fruits rouge vif. Pourtant, il n’en avait pas vu, malgré ses visites récentes. Et plus il marchait, plus il avait le sentiment de n’être jamais allé dans cette partie de la forêt. Maintenant convaincu d’être perdu et anxieux à l’idée de manquer à son devoir, il tenta de suivre le son de flûte, qui se transforma bientôt en mélodie, rythmée par des percussions. S’il lui semblait bien s’en rapprocher, il avait toujours l’impression que la musique était à des lieues de là, et en même temps… si près, comme voilée. Un mouvement attira son regard. Un renard ? Non. Si celle qui lui faisait face était bien rousse, des pieds aux cheveux, elle avait la taille d’un merle et de belles ailes, qui lui apparurent hérissées de plumes d’eau aux reflets colorés et changeants. Surpris, Goulwen ne sut que dire alors que la représentante du petit peuple s’éloignait déjà. Pourtant elle s’arrêta, se retourna vers lui et d’un geste de son bras minuscule, l’invita à la suivre. Trop curieux pour penser, le mage courut après la créature, qui le guida à travers les bois, toujours plus touffus.

Enfin, ils débouchèrent dans une grande clairière. Le feuillage occultait le ciel, mais la lumière chaude du soleil brillait au travers. Était-ce possible ? Celui qui se tenait devant le jeune mage rayonnait encore plus. Si Goulwen ne l’avait jamais vu auparavant, il le reconnut immédiatement. Cernunnos. Assis sur un trône creusé dans l’arbre gigantesque qui poussait derrière lui, grand comme trois hommes, son visage mêlait des traits mûrs à ceux d’un cerf. Ses iris à la profonde pupille horizontale brillaient d’or liquide. Des bois majestueux, piquetés de mousse verte, ornaient son crâne. Le dieu se pencha à l’approche de Goulwen, avançant vers lui une main immense à la peau brune d’aspect velouté. Le mage découvrit en son creux un gland, une branche de houx, deux couronnes de sorbier et un petit chaudron. Dans ce dernier bouillait une décoction à l’odeur âcre : des fruits de sorbier cuits. Machinalement, ses gestes semblant lui échapper, Goulwen laissa tomber la rue et le basilic dans le chaudron, attrapa le gland et le houx et les ajouta au mélange. Il prit l’une des couronnes, et la tint contre son cœur, tandis que de son autre main, le dieu lui déposait la seconde sur la tête. De toute la durée de ce curieux moment, le mage n’avait plus quitté des yeux le foyer brûlant dans le regard du dieu cerf. Ses paupières refusant de se fermer, il pleurait abondamment, à la fois pour se protéger de la trop vive ardeur que sous le coup de l’émotion. Sa vue se brouilla sous les larmes.

Quand enfin il put de nouveau voir, Cernunnos et la fée avaient disparu, et il se trouvait à l’orée de la forêt, en vue de son clan. Il portait toujours, sur la tête et contre son cœur battant, les couronnes de sorbier. Entre ses mains, une timbale de bois était remplie de la potion odorante du chaudron.

Les yeux toujours larmoyants, Goulwen marcha rapidement jusqu’au village, où les fumets de viande grillée et de légumes juteux commençaient déjà à emplir l’air. Des musiciens préparaient leurs instruments : des tambours, des lyres, des flûtes. Les percussionnistes étaient en train de tendre leurs peaux. Rien n’était encore vraiment commencé. Combien de temps exactement avait-il disparu au fond des bois, acteur d’une rencontre miraculeuse ?

Aenor, occupée à disposer des betteraves tranchées sur les tables, se retourna à son approche, reconnaissant le pas de son compagnon. Goulwen lui déposa la couronne de sorbier sur la tête.

Sans un mot, il lui adressa un sourire rayonnant et avala une gorgée de la timbale avant de la lui tendre. Rivée à son regard brillant, son épouse but à son tour. Une chaleur surprenante, douce, s’étendit dans son ventre et s’y logea, bienfaisante.

Alors, Aenor sut que l’été leur annoncerait le fruit qu’ils attendaient.

Une minute

Je flotte, presque sans efforts. Cette immensité me grise autant qu’elle m’effraie.

Bonjour tout le monde !
Ça fait bien longtemps que je n’ai pas écrit ici, mais ça ne m’a pas empêchée de produire par ailleurs !
Des mers sous trois lunes est en pause, plus pour très longtemps car j’aimerais le reprendre pour finir le premier tome d’ici la fin 2021.
Deux autres gros projets sont en cours, une biographie et une autre saga, fantastique celle-ci. Je vous en parlerai davantage en temps voulu.
Beaucoup de nouvelles ont rejoint mon tiroir à histoires, dont une publiée aux Éditions des Tourments, dans le recueil Exsangue. Les autres pouvant aussi être amenées à la publication et étant un peu longues, je ne les partagerai pas sur ce blog.
J’ai aussi bon nombre de critiques livresques à venir, mais je ne pense pas relayer ces publications ici. Si cela vous intéresse, il faudra me retrouver sur Babelio ou Goodreads.
Aujourd’hui, je vais vous parler d’un concours d’écriture au long cours auquel j’ai beaucoup de plaisir de participer. Nous avons une semaine pour écrire un texte sur un thème, avec une contrainte dans l’écriture. Cette dernière peut concerner la forme, l’intrigue, les personnages, le ton… C’est très varié et parfois épineux ! La semaine qui suit, nous nous jugeons entre candidats, puis la semaine d’après, un nouveau thème et une nouvelle contrainte nous sont donnés. Comme ce sont des petits textes à la lecture publique et sans volonté de publication future mais que j’ai bien aimé les écrire, je vais vous les déposer ici.

***



Thème : Espace
Contrainte : l’intrigue du texte doit durer une minute

Une minute

Je flotte, presque sans efforts. Cette immensité me grise autant qu’elle m’effraie. Il n’y a rien, sinon toutes ces couleurs floues qui m’enivrent. Je sais le risque permanent qu’une ombre fatale survienne, dans un lieu si dégagé. Je n’y pense pas, tant c’est ancré dans mon instinct. Éviter les ombres, fuir le mouvement des autres. Tout peut m’atteindre, toujours, tout le temps, mais moi aussi. Je peux aller partout, dans cet immense nulle part, là où les ombres, les autres, ne seront pas, ne m’auront pas.

Le vide m’appelle. Je n’ai besoin que d’un geste infime pour changer de direction à l’oblique, filer à l’inverse, découvrir l’envers. L’air chaud me porte toujours plus haut et m’enveloppe d’une fièvre effervescente. Je me sens plus active que jamais sous la lumière puissante du jour. Je tourne, prends encore la suite d’un courant, et perçois une onde plus fraîche, venant de loin, plus bas. Presque simultanément, un fumet irrésistible, tiède, s’élève vers moi. Il se mélange à l’onde, créant un nouveau flux, une trace que je peux pister, qu’il me faut remonter au plus vite. La faim ne me quitte jamais, et tout ce qui peut combler ce besoin permanent devient ma priorité. Les ombres, les autres sont relégués au second plan. Je suis vivement l’empreinte presque matérialisée, vapeur sirupeuse. L’étendue autour de moi semble s’être rétrécie pour ne me conduire plus qu’à cet objectif. Seul compte maintenant ce mets qui affole mes senseurs.

Les couleurs changent, s’assombrissent, l’air se rafraîchit encore. Un gouffre noir s’ouvre sous moi. Pénétrer dans le domaine des ombres me terrifie, mais cette source d’énergie parfumée s’y trouve et me grise au-delà de ma peur. Je serai peut-être la première à arriver. Se battre pour manger est quotidien, et si le combat peut être évité ou que je peux combler mes manques avant d’être délogée par les autres, j’aurai gagné un nouveau jour.

Mes yeux s’habituent trop doucement à la pénombre, et je tourne en spirale pour rester inaccessible jusqu’à voir de nouveau et de retrouver ma piste. L’origine est tout près, je sens les vapeurs sucrées s’affermir. Je fonds vers la source, que j’ai enfin en visuel : brillante, onctueuse, chaude et délicieuse. Une ombre survient, me surprend. Je n’ai que le temps d’un battement d’ailes pour changer de trajectoire et éviter une masse colossale qui m’aurait fauchée sans cette fuite. L’ombre garde l’énergie. Je peux rester à proximité, voir si elle s’écarte assez pour m’en laisser l’accès. Manger l’énergie des ombres est risqué mais chargé de promesses délicieuses, pour peu qu’on soit assez téméraire ou stupide pour frôler d’aussi près le danger.

Je prends de la hauteur, cherche à me poser pour un point de vue idéal sur l’abondante nourriture. Un angle, obscur mais hors de portée de l’ombre qui reste très près de son énergie, me semble parfait. Je m’en approche, mais ne parviens pas à l’atteindre. Il me faut un instant pour comprendre que je suis retenue, en plein vide, par quelque chose d’invisible. Je me tortille, mais mes ailes s’engluent dans ce que je vois apparaître maintenant comme de longs fils miroitant des couleurs de la lumière du jour. Une autre ombre fond sur moi, m’attrape, m’enlace et me mord.

***

Je suis rentré tôt cette année. Même si l’air est plus frais et la chasse moins facile qu’en voyage vers le sud, je suis attaché à ce territoire qui m’a vu naître. Son importance pèse plus pour moi que toutes les épreuves que je dois affronter pour y revenir tous les ans.

C’est un lieu clairement idéal, le plus bel endroit pour donner vie à mes enfants. Ici, dans cette contrée préservée, ce sanctuaire, ils auront toutes les chances de devenir forts avant de devoir à nouveau s’exiler avec moi pour fuir le grand froid et le sommeil du gibier.

Ici, les vieilles pierres ont cessé depuis longtemps de chanter. Les points d’observation et de repos sont nombreux et variés, et même si le territoire reste dur à protéger contre des rivaux en raison d’un épais rideau de feuillage, on y vit tranquille. Et surtout, le plus important, ces immenses créatures, dangereuses et bruyantes avec tous leurs outils, sont parties pour nous laisser leurs constructions si adaptées pour nous y installer. Ici, je suis venu à la vie, j’ai grandi, c’est mon monde. Tous les autres lieux que je parcours ne sont que les étapes du chemin qui me ramène toujours ici, année après année.

Mais ce havre de paix a changé. L’herbe est moins haute. Le gibier foisonne, seulement… j’ai l’impression d’entendre à nouveau les pierres murmurer. Des entrées ont disparu, d’autres se sont créées.

En chasse, j’arpente mon territoire, pour comprendre ce qui diffère. Soudain, devant moi, une proie. Je fonds vers elle, qui ne m’a pas vu. Pourtant, elle tourne à l’opposé et s’éloigne, vite. Mais je suis rapide moi aussi, même si mes filets, plus beaux que pratiques en vol, me contraignent à des manœuvres. Une gêne que j’accepte, tant ces atouts sont essentiels dans le jeu de la séduction de ces dames, avec mes plumes brillant sous le doux soleil de cette contrée et ma voix mélodieuse. Deux-trois coups d’aile, je vire et la pourchasse, m’approchant d’une entrée sombre au cœur de la base de ma tour de pierres.

Soudain, je réalise : le passage est trop grand. Ce trou ne s’ouvre pas à ma taille, mais à celle des créatures ! Je bats des ailes sans plus avancer, tentant d’habituer ma vue au noir. Alors je la distingue, et un cri strident m’échappe. L’un de ces monstres me fait face. Nos regards se croisent. Hurlant toujours sous le coup de l’émotion, animé par la peur, mon premier choix est de me sauver droit devant moi. Je me retrouve piégé dans la construction, qui a été réinvestie par les créatures, leur odeur maculant les lieux. Je vois plus clair, et je parviens, d’un coup d’aile, à retrouver la passe par laquelle je suis entré. En quelques battements puissants, je prends les courants ascendants, fuyant l’ennemi qui heureusement ne me suit pas. Peut-il seulement voler ? L’altitude ayant eu raison de ma frayeur, je fais demi-tour, jette un regard furtif sur l’immense trou qui m’inquiète maintenant.

Pourtant, je me pose en haut de ma tour. Je n’ai plus ma place à la base, mais il me reste ses sommets et les cieux, où ce monstre ne m’attrapera pas. Mon lieu de vie.

***

Ah, je vais enfin pouvoir bosser tranquillement, aujourd’hui ! Maintenant que je suis bien installée, au vert, la page blanche n’a plus de raison de m’inquiéter. Cette ancienne ferme de granit était vraiment le meilleur choix pour un cadre idéal, propice à l’inspiration, moi qui ne m’épanouis qu’au cœur de la nature ! Je crois que je vais enfin pouvoir me constituer un petit espace de travail qui conviendra à l’expression de ma créativité.

Depuis la veille, il fait un temps superbe, ça change des mois insoutenables que j’ai passés sous les plaids. Quelle idée de déménager en plein hiver ! Au moins, maintenant, je peux ouvrir les fenêtres, et profiter du chant des oiseaux et des grillons.

Ma compote maison est encore tiède, je vais faire un bon goûter et me régaler en lisant mes notes d’hier. Je m’assois devant mon ordinateur, à mon bureau improvisé dans le salon du rez-de-chaussée, en attendant d’avoir ma pièce à moi à l’étage, quand on aura fini les travaux. Mais trêve de pensées parasites ! Au boulot !

Les yeux sur l’écran, j’entends soudain bourdonner non loin de mon oreille. Ah, non ! Une mouche vient de se poser sur ma cuillère, à quelques centimètres de mon goûter ! Fais comme chez toi, surtout ! Je la chasse d’un revers de la main, et elle disparaît dans un coin de la pièce. Oups, je crois qu’il y a plein d’araignées là-bas…

Je tente de me reconcentrer sur mon texte. Un bruit bizarre, comme un froissement, me fait lever les yeux vers sa source, à la fenêtre. Hein ? C’est quoi, ça ? Un oiseau vient d’entrer ! Encore ? Ils n’arrêtent pas en ce moment, ce doit être le printemps… Je les adore, mais ce n’est pas l’idéal pour travailler ! Il fait un instant du sur place et je reconnais une hirondelle, même si je les avais toujours imaginées plus petites. Au lieu de faire volte-face et de se sauver comme on l’attendrait de tout oiseau bien constitué, elle fait le tour de mon salon, trissant comme une dératée. Je me lève et agite les bras, elle lorgne mes poutres, semblant chercher un endroit où faire son nid. Allez, allez, dehors maintenant, tu es mignonne mais je dois bosser, et pas de fiente sur mon ordinateur au passage, merci !

La voilà sortie, et j’ai l’impression que mon inspiration est partie avec elle. Bon, qu’est-ce que je vais pouvoir écrire pour ce défi ?

La galette du roi

« Pour qui est cette part ?

Pour moi. »

Cédric ne comprit pas trop pourquoi il devait choisir pour qui allait revenir chaque morceau. Ils n’étaient que trois et tout le monde allait en manger, alors pourquoi s’embêter à ça ?

(attention, cette lecture peut heurter les âmes sensibles)

***

Cédric a six ans et aujourd’hui c’est la première fois qu’il goûte à la galette des rois.
En vérité, ses parents Zoé et Eli lui avaient fait découvrir ce mets éphémère du mois de Janvier depuis deux ans déjà, mais sans pour autant que le petit garçon eût conscience de pouvoir l’apprécier. Cette année, s’affirmant, il ne manquait jamais l’occasion d’exprimer ses goûts, à grand renfort de « Miam, trop bon ! » ou de « Beurk, j’aime pas ! ». Zoé, forte de l’impression que lui avaient laissée les années précédentes, se souvenant avec tendresse du regard gourmand de son petit diablotin, avait poussé l’expérience au point de cuisiner elle-même ce jour-là le dessert de l’Épiphanie. Eli avait réussi à trouver une fève de Blebou, le héros préféré de Cédric, il serait ravi. C’était samedi, tout le monde allait pouvoir profiter de ce goûter en famille. Zoé déboucha une bouteille de cidre, et Eli servit un verre de jus de pomme à Cédric. Le petit jouait aux Lego et rechigna un peu à venir quand on l’appela, malgré sa faim et la bonne odeur de pâte feuilletée maison se répandant jusqu’à sa chambre. Quand au deuxième appel le ton de Zoé se teinta d’impatience et d’une pointe de colère, Cédric abandonna le grand château qu’il était en train de construire et se rendit à la cuisine pour assister à un cérémonial inhabituel. Eli lui indiqua l’espace sous la table plutôt que sa chaise.

« Regarde Cédric, c’est la galette des rois aujourd’hui ! Celui qui trouve la fève devient le roi ! »

Cédric contempla le gâteau rond et blond, à la croûte qu’il imaginait craquer sous la dent comme celle d’un friand au fromage ou d’un poisson pané. Il était dubitatif, mais l’odeur de beurre et de frangipane, qu’il fut bien incapable d’identifier mais qui interpella ses cellules stimulées par le souvenir d’un ancien régal, le firent céder sans discuter à l’étrange proposition d’Eli.

« Pour qui est cette part ?

Pour moi. »

Cédric ne comprit pas trop pourquoi il devait choisir pour qui allait revenir chaque morceau. Ils n’étaient que trois et tout le monde allait en manger, alors pourquoi s’embêter à ça ?

« Pour qui celle-là ? »

Quand enfin il put ressortir après avoir désigné ses parents, Cédric s’assit avec curiosité et impatience devant son assiette. Sa part ressemblait à un énorme bec luisant dont sortait une grosse langue jaune. Cela le fit rire. Zoé sourit en le voyant attraper le gâteau et mordre dedans avec appétit. Elle était bien contente que Cédric ne fût pas comme leur petit voisin qui, aux dires de sa mère, éventrait les parts pour ne manger la galette que s’il avait la fève dans la sienne. Pas de soucis, elle s’était arrangée, en dépit du tirage au sort, pour que la part du roi revint à son cher petit. Tout le monde avait l’air de se régaler. Cuite à point, la pâte était encore tiède et croustillait avec délice. Soudain, la mastication active du petit garçon, qui n’était pas sans rappeler celle d’un rongeur, se figea. Crac. Des larmes. Ouille, il avait mordu pile sur la fève. Le temps de récupérer l’objet incriminé qui, s’avérant être Blebou, obtint le pardon de l’enfant, on sècha les pleurs dans un mouchoir tout doux. Mais Cédric se mit à bouder, il n’avait plus très faim, et voulait retourner jouer aux Lego. Eli sauva la situation, en le coiffant d’une couronne en carton doré.

« Voilà, c’est toi le roi ! »

Cédric retira la couronne, et la contempla avec fascination avant de la reposer avec précaution sur sa tête.

« Il faut que tu choisisses une reine », fit sa mère, minaude.

Cédric la regarda, puis son père. Ses yeux, tristes, déçus, se posèrent à nouveau sur elle.

« Je peux pas, y’a que toi et vous êtes mariés. »

Ses parents rirent.

« Ce n’est pas grave ! Aujourd’hui, c’est toi le roi, et tu peux faire ce que tu veux !

– Ah bon ? »

Cédric se leva et regarda ses parents, et la pièce qui les entourait, très concentré. Il avait toujours rêvé d’être le roi, certes, d’un château en Lego, et d’imposer son joug à un royaume tout entier.

« Papa, débarrasse la table ! »

Eli fit un clin d’œil à Zoé, et s’exécuta. Cédric jubilait, fier de son pouvoir, et ne tarda pas, la corvée effectuée, de renchérir :

« Papa, fais mes devoirs ! »

Cette fois, Eli ne s’était pas laissé faire, il ne fallait pas abuser.

« Non, Cédric, ce sont tes devoirs, pas les miens. Et puis, si je suis « Papa », je suis le père du roi, qui a quand même des privilèges lui aussi, et le droit de refuser. »

Cédric fixait maintenant son père d’un air sombre.

« Tu n’es plus Papa alors, tu es Eli, voilà. Eli, fais mes devoirs ! 

Non Cédric, tu n’as pas compris. C’est juste pour s’amuser. »

Eli se tourna vers Zoé, qui haussa les épaules. Cédric était un garçon si calme et gentil, pourquoi s’énervait-il à en devenir aussi désagréable ?

« Mais moi, je m’amuse ! »

Le petit garçon monta sur sa chaise, comme sur une estrade surplombant son peuple.

« Je vous ordonne de…

Stop Cédric, ça suffit !

Eli commençait à s’énerver vraiment maintenant. Zoé cherchait désespérément quelque chose pour occuper son fils et lui faire oublier cette mauvais blague, en vain.

« Tais-toi, esclave ! Et fais ce que je te dis ! »

Eli leva le bras vivement, et s’arrêta juste avant de gifler son garçon, qui s’affaissa sous la menace. Au lieu de cela, il lui arracha la couronne.

« Voilà, stop, on arrête avec ça. »

Il avait le souffle court, conscient d’avoir failli perdre pied.

« Non ! »

Cédric bondit en direction de la couronne, manquant tomber de sa chaise, et voulut l’arracher à son père, ce qui eut pour effet de déchirer le carton.

« Et bien, bravo ! Voilà, tu as eu ce que tu méritais ! », éclata Eli tandis que Cédric se mettait à pleurer.

« Va dans ta chambre, et qu’on ne te revoie pas d’ici dîner ! »

Cédric courut s’enfermer avec ses Lego. Dans ses jeux, personne ne contredisait le roi, qui avait toute puissance. Comment gardait-il ce pouvoir et l’imposait-il à ses sujets ? Il n’avait même pas pu profiter personnellement de son règne…

La fin de l’après-midi passa tristement. Zoé n’échangea que des banalités avec Eli, dans l’espoir vain de le détendre. Elle était d’accord avec sa manière de réagir au caprice de leur fils, mais ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir un peu d’avoir fait voler en éclat ce moment en famille. Mais Eli était-il responsable ? Cédric avait-il été excessif dès le départ ? Elle avait du mal à le déterminer. Souhaitant ramener le calme, elle décida de cuisiner le plat préféré de Cédric, des pâtes au citron avec du poulet.
Quand ce fut le moment de dîner, la mine fermée du petit garçon s’illumina en découvrant son assiette pleine.

« Ouah, tu m’as écouté !?

– Oui. Je t’ai entendu », lui répondit Zoé, un peu perplexe sur le choix des mots de son fils. Ils n’avaient pas parlé depuis le goûter houleux, mais elle avait simplement pensé que cela lui ferait plaisir. Apparemment c’était le cas.
Eli ne fit pas l’effort de faire la conversation, et Zoé remarqua que Cédric n’accorda pas un regard à son père. Les choses iraient sûrement mieux demain…

Zoé vint ensuite surveiller son fils pendant son bain, et mener avec lui l’expédition marine de ses figurines de chevaliers. Ravi de passer un moment privilégié avec elle, Cédric la gratifia d’un « je t’aime, Maman » quand elle lui sécha les cheveux. Il était si mignon qu’elle céda et le serra bien fort dans ses bras. « Moi aussi je t’aime, mon chéri.»

Tout le monde devait s’être endormi, maintenant. Seulement, quelqu’un avait attendu que les autres dorment, puis s’était levé. C’était Cédric. Passant par la cuisine, il alla jusqu’à la chambre de ses parents. Ils dormaient tous les deux sur le dos, alignés, un peu comme les filles de l’ogre dans le Petit Poucet. Il s’approcha du chevet de son père, et leva son bras, terminé par l’éclat de la lame du couteau de cuisine. Le même qui, un peu plus tôt, avait servi à couper les parts de galette des rois. Alors il abaissa son arme sur la gorge, le visage, la poitrine de son père. Surpris en plein sommeil, Eli glapit, hoqueta, et succomba rapidement, peut-être même sans comprendre ce qui venait de se passer.
Certain maintenant qu’il ne le dérangerait plus, Cédric fit le tour du lit. A la lumière de la lune qui passait le filtre du store, le petit garçon répara d’un bout de ruban adhésif la couronne récupérée dans la poubelle. Puis il la posa sur la tête de sa mère, que le tumulte n’avait pas éveillée. Il l’embrassa sur le front et chuchota lentement :

« Tu es ma reine. »

Journal d’Ada 3

Il ne me reste que ces feuilles pour m’exercer en écrivant ces bêtises, ou dessiner des choses que je ne peux voir qu’à travers mes carreaux recouverts de gouttes d’eau.

Khazen est retourné voir le charpentier aujourd’hui, mais sans moi. Il a dit que ça ne pouvait pas attendre… Je guettais l’occasion de revenir au port avec impatience, et il a fallu que ça tombe aujourd’hui.
Maman est malade… J’ai dû rester à la maison pour lui servir de la soupe et la veiller. Papa est sorti chercher des médicaments chez l’apothicaire. Maman a une mauvaise toux, et avec le bébé tout le monde est inquiet. J’ai pas bien compris, mais Papa et Tonton m’ont dit que les plus petits maux peuvent devenir des gros quand on est enceinte. Ce n’est pas si heureux que ça en fait.
Je dois être silencieuse pour ne pas déranger Maman et qu’elle puisse dormir. Du coup, je n’ai pas de leçon, mais ça ne me réjouit pas. Il fait gris et je m’ennuie. Il ne me reste que ces feuilles pour m’exercer en écrivant ces bêtises, ou dessiner des choses que je ne peux voir qu’à travers mes carreaux recouverts de gouttes d’eau. Même les nuages sont tristes pour moi.
Je préférerais travailler avec Maman, au moins je n’aurais pas cette pensée qui revient, celle que je suis seule et que je ne sers à rien ni à personne. C’est dans le silence, comme ça, quand l’après-midi s’étire sans finir, que je ressens le plus cette tristesse étrange qui me serre le cœur. Pourtant, je ne suis pas malade, je mange bien. J’ai des leçons et parfois même des cadeaux. Mes parents m’aiment beaucoup et bien qu’ils me grondent parfois, je crois qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour que je grandisse bien et que je vive heureuse. Rien ne me fait de la peine, sinon de rester ici, dans cette chambre où je n’ose respirer de peur de réveiller Maman. Malgré tout, il me manque quelque chose. Je pensais que c’était d’avoir un petit frère ou une petite sœur, mais si Maman doit en souffrir, je ne suis plus bien sûre d’en vouloir…
Je crois que je me sens triste depuis qu’on est revenus du port, Tonton et moi. Je crois que ça a un rapport avec Djian. Quand j’ai joué avec lui, je n’ai pas vu le temps passer. C’était comme si tous les jeux que j’imaginais avec mes jouets, mes dessins et les histoires dans ma tête pouvaient devenir vrais en les partageant avec lui. C’est comme si jusqu’alors je n’avais été qu’une balle de terre, et que le rencontrer m’avait donné vie, comme Ulepal avec Mildenn.
Est-ce que c’est ça, avoir un ami ?
Je pensais que je pourrais revoir Djian aujourd’hui, en descendant au port avec mon oncle. Mais non, les Dieux en ont décidé autrement.
A coup sûr, il m’aura oubliée d’ici à ce que je puisse sortir de cette maison.

Quelques nouvelles

Bonjour à tous !

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Journal d’Ada 2

Je lui ai demandé s’il voulait jouer, il a fait non avec la tête et il est parti. C’est pas bizarre ?

Tonton Khazen est revenu ! Je l’ai pas vu depuis le cycle dernier ! J’en profite pour ressortir mes feuilles cachées, parce qu’il m’a ramené du papier et des encres rares. Je me rends compte que j’écrivais vraiment comme un bébé il y a encore quelques lunes. J’ai eu le temps de souffrir à faire des caractères bien droits, et j’écris quand même beaucoup mieux. On voit la différence !

Finalement, je n’ai jamais eu de irkhalam, mais Maman attend un petit frère ou une petite sœur ! C’est encore mieux, je crois ! Je suis tellement contente ! J’ai hâte ! On va pouvoir jouer, et se raconter plein d’histoires ! Et aussi, je pourrais lui faire faire tous les services que je suis obligée de rendre ! Je suis pas très gentille peut-être, mais tant pis ! Il me reste à attendre encore quatre lunes.

Tout à l’heure, je suis allée avec Tonton voir le charpentier pour son bateau, il doit être réparé avant qu’il ne reparte en voyage (le bateau de mon oncle, pas le charpentier). Je ne savais pas, mais le charpentier a un fils. Comme moi, il fait l’école à la maison, je crois, mais lui c’est pour apprendre le métier de son père. Comme je m’ennuyais pendant que mon tonton parlait avec le charpentier, je lui ai demandé s’il voulait jouer, il a fait non avec la tête et il est parti. C’est pas bizarre ? Si ça se trouve, il ne sait pas parler.

J’ai cru que je lui avais fait peur, mais après, j’ai vu qu’il me regardait de loin, avec des gros yeux. Ça faisait étrange, parce qu’il les a très foncés comme son père, et qu’on dirait deux trous brillants. Finalement, je trouvais ça drôle, et j’ai fait pareil. Puis il a fini par venir et il m’a pris la main, et il m’a fait visiter son atelier où il travaille avec son père. Il m’a même montré sa cachette ! C’est sous le grand établi, c’est bien, on est complètement caché quand on est dedans. Il y a mis des coussins, une couverture et des gâteaux. Il m’en a donné un, c’était aux fruits, plutôt bon même si un peu sec. Je sais pas s’il dort là, mais en tout cas, c’est une belle cachette, parce que les grands ne nous ont pas trouvés ! Quand mon oncle a commencé à s’impatienter, je suis ressortie, mais avant je lui ai demandé comment il s’appelait. Et finalement, il parle, parce qu’il m’a dit qu’il s’appelle Djian. Je lui ai répondu que moi c’est Ada, et j’allais partir mais il m’a demandé si je reviendrais. J’ai dit oui. Je pense que oui, Tonton a toujours des choses à faire faire sur son bateau quand il est à Fourche.

Journal d’Ada 1

J’en ai marre de jouer toute seule, je veux pas attendre d’être grande pour jouer avec quelqu’un…

Irkhalam

Irkhalam

J’aime les irkhalam

Je veux un irkhalam ! Papa dit que c’est trop cher et Maman dit que je suis trop petite pour savoir m’en occuper. Mais je suis sûre que je saurais faire comme il faut. Je lui donnerai à manger, il dormira avec moi. Je serai sa Maman, et il n’aimera que moi, comme ça mes parents ne pourront plus me gronder !

Aujourd’hui, j’ai vu les khalam de l’armateur (c’est le monsieur qui s’occupe des bateaux comme celui de tonton Khazen) et j’ai pu les caresser ! Ils étaient si doux ! Papa parlait de choses pas intéressantes d’adultes avec le monsieur, mais j’ai quand même pu lui demander s’il pouvait avoir un bébé pour moi. Mais il a rigolé, et il m’a dit qu’un khalam pouvait pas faire de irkhalam tout seul. Mais je comprends pas, il en a deux le monsieur pourtant ! Papa n’était pas content. Quand on est partis, j’ai pleuré parce qu’il m’a grondée de tout le temps réclamer des animaux. Mais il comprend pas, les irkhalam, si on est comme leur parent, ils deviennent comme un frère ou un ami, et en plus ils gardent la maison ! Avant, je voulais un irgoltan, mais finalement non, parce qu’il faut être dresseuse pour en avoir, et il n’y a pas d’enfant dresseuse. Et moi, j’en ai marre de jouer toute seule, je veux pas attendre d’être grande pour jouer avec quelqu’un…

Comme j’ai pleuré, Papa a fait sa voix gentille de quand il a fait une bêtise (je le sais, parce qu’il fait la même voix avec Maman après qu’ils ont crié dans la chambre), et il m’a acheté une jolie boîte en bois pleine de couleurs. Dedans, il y avait des feuilles, pour écrire ou dessiner, et des bolken, avec des encres pour faire des couleurs différentes. Du coup, j’ai bien voulu lui pardonner et on est rentrés. Là j’essaye les encres. Je suis sûre qu’on peut les mélanger pour en faire encore d’autres. Il est quand même gentil Papa des fois.

Le diul (2/2)

Il existe cependant des rumeurs de certains vieux doyens de hordes reculées qui auraient atteint un âge bien plus avancé.

    Néanmoins, ces similitudes troublantes entretiennent de nombreuses légendes et croyances, qui ont certainement leur part de vérité. Elles confèrent également à cette créature une aura et un respect certains, beaucoup l’admirant et le reconnaissant comme un être noble et sage. D’autre part, son comportement à notre égard est plutôt surprenant car à moins que vous ne soyez agressif, elle aura tendance à naturellement s’approcher et s’intéresser à ce que vous faites. Par contre, le moindre geste qu’elle jugera malencontreux la fera fuir. J’ai ainsi pu en observer pendant un certain temps, tout un groupe, qui était venu à moi. Mais la lanière de mon sac ayant cassé, tout mon matériel s’est écrasé au sol avec force fracas. La troupe a disparu en un éclair. Je n’ai pu m’en rapprocher que bien des jours après, à force de patience.

    Les groupes de diul sont plutôt restreints, et cantonnés à des territoires fixes, bien que plutôt étendus. Les hordes sont composées de plusieurs couples, fidèles leur vie durant, et de leur progéniture. Il n’y a qu’un petit par mise bas, plus rarement deux, en général tous les deux cycles. Une fois en âge de se reproduire, les jeunes quittent leur horde d’origine pour chercher à se mêler à une autre ou en fonder une nouvelle. Les petits ressemblent beaucoup aux adultes, à la différence évidente de leur taille, et celle d’être hère, sans cornes, jusqu’à leur maturité, vers un cycle. Leurs yeux couleur feuillage clair paraissent encore plus grands, et leur face étrange, ne rappelant pas pour autant celle de nos enfants, en est d’autant plus perturbante.

    Les diul vivent généralement une trentaine de cycles, ce qui est plutôt vénérable pour la plupart des créatures que nous côtoyons. Il existe cependant des rumeurs de certains vieux doyens de hordes reculées qui auraient atteint un âge bien plus avancé. Mais difficile de savoir s’ils vivent encore, car tous les récits ne tendent pas à s’accorder sur l’emplacement de groupes de diul précis et clairement identifiables.

Relevé d’étude de nos voisins mystérieux , Riliann Steliar.

Le diul (1/2)

Laïlo a sans aucun doute voulu créer un lien entre sa personne et nous, et je pense que le diul incarne ce pont spirituel.

    Le diul vit dans les bois de l’archipel Andaras, et peut-être même ailleurs encore, apparaissant, je le sais déjà, sur des îles plutôt éloignées. Évoluant en horde réduite, s’il est parfois chassé il reste une proie rare, car discret, méfiant et rapide. Il marche sur quatre longues pattes très fines, et son épaule arrive aux hanches d’un léfenn ordinaire. Son pied se termine par trois doigts à l’ongle dur et pointu ; deux à l’avant, et un plus petit, tourné vers l’arrière. Il me semble qu’il utilise ce dernier pour assurer son équilibre lors de sa course, pour une meilleur prise au sol. Son corps est musclé et charnu, et se termine par un cou fin et long, portant une petite crinière hérissée aux poils légèrement plus longs que le reste de son pelage plutôt ras, couleur sable. Sa croupe se termine en une queue plutôt fine, qui aboutit en un petit plumeau duveteux, souvent blanc ou crème. Il possède des cornes impressionnantes, torsadées et tordues en une logique unique, curieusement harmonisée de chaque côté de son front. Ses grandes oreilles se tournent vers les sons et bougent au fil de ses émotions. C’est une créature très silencieuse le plus souvent, et je la soupçonne de communiquer avec son groupe par la position de sa tête, de ses cornes, et de ses oreilles.

    Mais ce qui fascine par dessus tout à la rencontre d’un diul, c’est sa face. Laïlo a sans aucun doute voulu créer un lien entre sa personne et nous, et je pense que le diul incarne ce pont spirituel. On dit souvent, en effet, qu’il a le visage d’un léfenn, ce qui est très surprenant sur son élégant corps quadrupède. Ce n’est pas tout à fait exact. En vérité, cette face ovale et claire se démarque du reste de son corps par sa couleur presque blanche, comme le bout de sa queue, mais reste velue, contrairement à la peau presque nue de notre visage. Ses grands yeux verts sont troublants de profondeur, mais ont une pupille horizontale, contrairement à la nôtre qui est ronde. Son museau est très similaire à notre nez, mais son arête est plus prononcée et plus longue. Sa bouche, cependant, est vraiment semblable à la nôtre, même pour la disposition des dents, à la différence qu’il n’a pas de crocs pour arracher et déchiqueter comme nous, ne consommant que des végétaux. La ressemblance est quand même troublante, et on peut facilement se faire prendre au premier regard. Par contre, l’absence d’émotions que nous pourrions reconnaître sur ce visage nous confirme bien vite que nous appartenons à deux espèces distinctes.

Relevé d’étude de nos voisins mystérieux , Riliann Steliar.